Avançons qu’elle se mesure à son but sans
pour autant que tous les moyens soient licites pour y parvenir.
Elle se distingue de la morale et des codes de déontologie
qui requièrent des assentiments collectifs.
L’éthique exige une adhésion subjective qui
peut se trouver en conflit avec la morale et cette déontologie.
Ce conflit certes ne lui est pas essentiel, mais son occurrence
nous renseigne sur la radicalité des principes mis en cause
dans le champ tout particulier de l’éthique.
Car si la tradition philosophique lui a donné une place
éminente pendant vingt-cinq siècles, c’est
probablement à la psychanalyse que nous devons le regain
de passion qu’elle suscite de nos jours.
En quoi donc la découverte freudienne a-t-elle modifié
les données que nous léguait la pensée philosophante?
En ceci :
1° La conscience morale ne pouvait plus suffire à
assurer sa prise sur des phénomènes qui lui échappaient
(voyez aujourd’hui la pédophilie...) ;
2° Que l’existence de désirs inconscients qui
forment la trame insue de notre conduite quotidienne destitue
la primauté du bon vouloir et des règles qu’on
lui impose.
Il va de soi que l’insu de ce désir ne le dédouane
pas automatiquement des règles prescrites par la civilisation
pour préserver l’intimité et la privauté
de chacun.
Avec l’intime, nous entrons en effet dans le coeur du sujet
à débattre.
Car l’intime ne poserait aucun conflit pour une éthique[1]
s’il ne lui était pas consubstantiel de se dédoubler
en extériorité. L’heimisch toujours unheimlich.
L’étrange inquiète donc par les affinités
qu’il réveille en la vacuole de vide que cerne l’être
de chacun. Il y a donc “ extimité ” de l’inquiétante
étrangeté. Chose obscure dont semble pâtir
l’être humain.
C’est à cet obscurantisme que Lacan adressa son
Scilicet. Il est permis de savoir là où d’aucuns
jouissent de l’aura de jouissance dont l’Autre se
pare à simplement se pourvoir d’occuper la place
de garant du dire. En d’autres termes, ne jouit pas celui
qu’on croit ! mais celui qui croit que l’autre...
Transitivité de réplique toute infantile.
Le psychanalyste n’est pas cet Autre en substance, il en
occupe la place, voire l’incarne provisoirement quand l’imaginaire
règne en maître.
C’est dire que la jouissance ne lui est jamais que supposée
par ceux-là mêmes qui craignent qu’il n’use
inconsidérément de son pouvoir. Car quand bien même
s’en octroierait-il la licence qu’il ne ferait que
déchoir aussi bien de sa fonction que de l’enjeu
subjectif où le mène l’analyse.
Ceci implique deux choses :
1° Un repérage articulé de ce qui soutient
l’acte analytique, soit l’exacte portée d’une
manoeuvre toute déterminée par le désir de
l’analyste, non sa jouissance. C’est de ce point qu’il
semble franchir le seuil de la décence pour les timorés
ou les envieux, cas jusqu’ici non articulé puisqu’il
y faudrait ajouter l’incidence significative de l’homosexualité
;
2° Une opération préalable de vidage de l’espace
subjectif de la jouissance, lequel n’est pas inné
mais construit, comme l’œuvre agissante du langage
et de sa parole nous le démontre et le théorise
à partir des travaux tout pertinents d’un linguiste
comme Guillaume, subduction qui équivoque en ce point avec
subversion pour tout sujet.
Est-ce donc seulement à parer des effets imaginaires en
quoi consiste l’éthique analytique ? En ce sens,
l’atypie du comportement suffirait : asymétrie du
dispositif de la cure qui place l’analyste hors de portée
visuelle de son analysant et restreint leurs rapports physiques
à une poignée de mains de salutation.
Ou pour permettre la structuration symbolique attendue ?
Dans ce cas aucun analyste ne devrait ignorer l’insistance
silencieuse de la pulsion au coeur des séries signifiantes
tel que l’exemple nous en est fourni par Lacan dans “
Parenthèse des parenthèses ” (in Écrits,
p. 54). On se doute bien que les chantres de l’idéal
analytique sont loin du compte, ont-il seulement parcouru cet
article, à défaut de le comprendre ?
Le silence de la pulsion est-il seul à rejoindre la topologie
du vide interne que cerne l’être de l’homme
?
Et l’éthique, dans ce cas, n’exige-t-elle
pas, rien qu’en ce moment, une passion pour la logique et
ses codages ? On mesure ici ce qu’une école de psychanalyse
se doit d’exiger pour ses impétrants.
Mais ce n’est pas tout.
Affronter le réel de ce lieu du vide va bien au-delà
de l’asymétrie imaginaire qui fait le vide du regard
ou de l’articulation signifiante qui requiert sa propre
suspension pour sa scansion. Le Réel est phénomène,
par le noeud qu’il nous oppose.
Le noeud est aussi social. Il semble que deux manières
autorisent les manifestations réelles de la jouissance
humaine[2], le symptôme
comme noeud et le savoir.
Si l’éthique de l’analyste préserve
les deux premiers lieux dans la scène strictement privée,
il semble que le troisième déborde de ce cadre.
Le débat doit s’ouvrir en ce point où, vidé
de sa jouissance, ce lieu est appelé à se remplir
du savoir qui le borde sans jamais pouvoir le combler.
Le savoir n’est pas idiot (gr.idiotes), il se diffuse,
il se partage. En ce sens l’éthique exige de l’analyste
qu’il fasse preuve de son savoir dans des champs plus socialisés
que l’espace de la cure.
La question demeure cependant de savoir si l’analyste peut
y occuper un rôle différent de celui de l’enseignant
ou de celui de maître. Témoignage d’un savoir-y-faire
qui n’est pas donné à chacun et réveille
les vieille haines et jalousies quand ce n’est pas la mise
à mort.
Je n’en dis pas plus pour cette fois-ci.
21-1-97
[1] On se souviendra de
ce que Freud déjà nous disait du plus privé
des cures de ses patients, qu’elles sont inviolables de
ce seul fait, trop privées pour être reconnues.
[2] hormis cet artifice
curieux que médiatise le phallus dans la sexualité