Le Père chassé.... à F,N,B,J,and J',P,S et après? Voilà bien une étrange institution, car c'en est une.
Sans cesse rabattue sur la sollicitude maternelle, voire arasée
par un égalitarisme quasi fraternel, cette fonction toute culturelle
renaît de ses cendres imperturbablement, sitôt qu'on en
dénie la nécessité par un quelconque avatar historique. Le père invalide! on sait ce que les guerres occidentales
ont légué aux jeunes hommes ("occidentés")
des siècles écoulés, ceux qu'ici également,
nous appelons anciens combattants. Mais que nous disent nos patients? Tout d'abord, cent après que Freud en eut fait la remarque,
qu'il ne peuvent se passer de la référence familiale
dans le discours qu'ils construisent de leur propre vie et du cortège
de symptômes qui l'accompagne. Que leur reproche-t-on à ces hommes? De se garder un petit lieu de folie, de ne pas se réduire totalement au bien-être de tous? N'ayons pas peur des mots, ce qu'on reproche en fait à ces
pères soit-disant indignes voire invalidés, n'est rien
d'autre que ce pavé dans la mare féministe : ils sont
des hommes, des mâles plus exactement. Revenir à nos cures va peut-être nous apporter la solution
de ce petit problème. Alors où est le problème, chez les parents ou chez les enfants? Admettons, et nos écoutes quotidiennes le prouvent, qu'une pudeur particulière frappe l'évocation par nos analysants, de la figure paternelle, proportionnelle à l'essence sacrée qu'elle recèle. Quelle pourrait en être l'origine? On sait que la pudeur est un affect lié à tout ce qui relève du sexuel et qu'on se doit de ne point montrer à tout un chacun. Pourtant ce serait se fourvoyer que de voir ici la crainte ou le désir de l'inceste faire fonction de cause-bateau. La haute fréquence des dérapages paternels est à ce point suspectée qu'on ne s'interroge même pas sur les raisons qui en limiteraient prétendûment l'occurrence chez les mères. Dans la théorie classique, le père est pour l'enfant
celui qui le détourne de la satisfaction fusionnelle d'avec
sa mère, chacun sait cela et l'admettrait facilement dans le
climat tempéré de l'amour. Il est possible encore de
concevoir que l'amour en question, tout supposé qu'il soit,
transfigure le besoin de l'enfant en désir qui ne serait en
fin de compte qu'un besoin passé à la moulinette de
l'amour des parents entre eux. Freud nous parlait de sexualité. Aujourd'hui que nos concepts
se sont un peu affinés, nous différencions désir
et jouissance et si la théorie classique s'accomodait si bien
de la paternité, il devient beaucoup plus ardu de saisir les
enjeux de cette fonction dans la jouissance des biens de ce monde.
Car à moins de le voir disparaître, le père reste
jusqu'à peuve du contraire, le maître incontesté
des jouissances d'ici bas. "Je fais de la psychanalyse parce que je ne suis pas pouètassé"
nous disait Lacan, qui de son aveu, a attendu les soixante-dix pour
se mettre à la danse, art par excellence du non-rapport sexuel. En somme et pour faire vite, rien n'est plus éloigné de la lecture de ce nom du père que nos univers de fonctionnaires cybernétiques ou non. Ce qu'on appelle un style est la tâche assignée au père moderne évincé de la structure par un matriarcat lui-même émoussé de sa sexuation. Quelque chose s'est passé au seuil de l'âge adulte qui
a châtré nos contemporains de l'originalité toute
singulière rêvée par la véracité
des voeux adolescents. Le père inconscient fonde une écriture que le père quotidien donne à lire. Ce n'est donc pas un hasard si, dans les cartoons, les mères-courage sont obligées de servir des oeufs au bacon à une tablée de rejetons dominés par le newspaper déployé d'une présence paternelle réduite au seul titre du journal. Nouvelle tragédie de notre modernité, celle d'un père condamné à "l'ire", faute de pouvoir transmettre ce mode d'exister, ce style de vie, que les moments de fête antique lui donnaient de rendre exemplaires pour ses héritiers. Quels temps de nos jours sont encore réservés à
ces manifestations si essentielles au devenir de nos héritiers?
Faut-il alors se tourner vers ces sociétés reconstituées
(comme on le dit des familles) que sont les sociétés
du crime[3] ou étrangement l'on voit reparaître le refoulé
de la politique et de la justice de nos états? Tout un art de vivre autrement dit qui trouve ici sa raison et sa cause. L'univers réaliste d'un Zola où l'absinthe permettait
le potlatch discursif des exploités du début de notre
siècle qui se termine est aujourd'hui virtuel. Même les
drogues sont interdites et les métaphores corporatives et communautaires
disparaissent au profit de la plus-value capitalisatrice. En d'autres
mots, le nombre de millions a pris la place de la métaphore
significative que le dieu dollar ($) dispute au sujet barré
(S barré). Le virtuel ici s'entendra comme il se doit : "Virtuel donc pas Réel" comme le sont ces images en miroir dont le statut fondateur pour le sujet n'est plus à démontrer depuis Jacques Lacan. "Réel" comme ne l'est pas la religion qui se présentait en suppléance de ces significations déficientes. "Réel" comme le peut être un acte, affinité que sans conteste, nous rappelle l'étymologie de la poiêsis. D'ailleurs, ne dit-on pas père de ses actes? Dans le contexte bien précis où le père fait la tradition par la rigueur et l'honnêteté de son dire et de son savoir-faire, s'opère également la transmission, laquelle s'expose d'un risque, celui que toute efficience emporte avec elle. Risque inhérent à tout agir qui est celui de rater mais aussi d'être trahi par ceux que la jalousie de l'efficace ne rend courageux que dans la haine de l'acte. C'est en ce point que le Père-chassé justifie le titre de cet essai. Sans cesse délogé par le rival, entraîné dans des luttes fratricides, il doit se garder sur un autre front, celui où sa femme devenue mère empiète sur l'efficience du savoir-faire qu'elle dénie, édulcore la menée à bien de tout désir difficile, mélange compromis et compromission, utilise quand elle les possède, les plus-values évoquées supra pour gommer les aspérités du réel. Je mesure en ce point, les cris d'orfraie et l'effarement des femmes libérées réclamant les droits de gérer la vie de leurs mômes aussi bien qu'un homme. Pourquoi pas! A ceci près que lorsqu'elles sont femmes, elles ne sont point mères et que toute la vie quotidienne nous montre à quel point la vie de la nichée s'en trouve reléguée aux bonnes, aux institutions et autres garderies. Comme l'analyste, ce père quotidien n'a d'autre choix que de jouer de l'équivoque pour faire passer par une poétique sa petite musique d'inventivité, de liberté et de bonne foi. Faute de quoi, l'insistance de la loi, la ténacité dans le projet, la rigueur de l'éthique, la mise au savoir et l'esthétique des arts du vide resteront lettres mortes pour des enfants abâtardis par un automaton venu de parents qui n'auront point voulu l'être humainement. Il ne suffit pas en effet, d'instaurer la loi pour que le petit d'homme
en vive, il faut encore décider d'en jouir et cette opération
n'est pas volontaire puisque la mère ici se doit de faire valoir
les qualités de son partenaire. Au bout du compte, le Père-chassé se trouverait chassé de l'amour, lui-même évanoui sous la coupe de la plus-value capitaliste, voire simplement réduit à un retour d'investissement. L'utilitarisme, ici comme ailleurs tyrannise les projets de nos contemporains et l'idéologie behavioriste lui sert de religion. La revalidation de cette fonction paternelle passe nécessairement par une revalidation parallèle du discours amoureux. Ceci n'est possible qu'au prix d'une invention. Mais il est vrai que les cours d'amour ne sont guère fréquenté(e)s de nos jours! (Paru in Moebius, No. 77 - Le Père) Jean-Paul Gilson Notes 1. le Québec
|