PRIMEIRA PALESTRA
Jean-Paul Gilson

Alors, bonjour à tout le monde. Je dois vous parler de quelque chose qui n´est pas simple: je vais essayer de vous parler, pendant un certain temps, de la différence que pourrait exister entre l´autisme et la psychose infantile. C´est un peu comme un trapéziste qui marche sur un fil, parce que vous savez qu´ il y a beaucoup de discours qui existent là-dessus; il y a déjà du parti-pris, de la politique d´interprétation, il y a donc déjà beaucoup de bagarres, beaucoup de disputes; et le vrai problème n’est même pas encore nos choix politiques, le vrai problème, à mon avis, c´est qu´ il y a un certain nombre de personnes qui ont déjà pensé pour nous; et c´est très embêtant, parce qu´ il y a dans l´intérieur de l`homme une espèce de fainéantise, (une paresse) radicale, qui fait que... c´est comme l´eau: elle passe toujours par où elle est déjà passée. Et donc, on repasse toujours par où les autres sont déjà passés sur ces questions. Par exemple, avant moi, il y a eu un certain nombre de personnes qui ont déjà parlé très bien de l´autisme, même très très bien. Par exemple, il y a des personnes qui se posent la question essentielle: est-ce que une psychose infantile existe? Une psychose infantile, est-ce-que ça existe sur le modèle où une psychose adulte existe? Il y a des discours très savants, maintenant, qui expliquent tout ça. Il y avait toute la psychiatrie classique, il y a eu Freud, il y a eu Lacan, et on connaît, au fond, les grands thèmes essentiels, qui nous permettent de dire quand on a une psychose ou pas psychose. Par exemple, le délire en est un des éléments. Mais il y a beaucoup d´autres éléments qui nous permettent de dire qu’une psychose est une psychose. Seulement quand un enfant ne parle pas, c´est très difficile de savoir s´il délire ou pas. Quand un enfant est sourd, on ne peut absolument pas savoir ce qu´il comprend de notre dire. Donc, vous voyez qu´il pourrait être très compliqué de décider si on a affaire à une psychose, par exemple, ou à une surdité. Si à la question de la psychose, vous ajoutez celle de l´autisme, alors là, le problème est multiplié par cent, parce qu´on ne sait pas, on ne connaît pas la cause de l´autisme! C´est un syndrome qui a du surgir tardivement dans la psychiatrie ou dans la psychanalyse. On a l´habitude de considérer que l’autiste, au fond, a été dénommé par Kanner. Mais on savait déjà, depuis longtemps, qu´il existait ce qu´on appellait des enfants sauvages. Alors, c´est donc pas étonnant que je vienne parler de ça ici, où un des problèmes qui traversent l´Equateur pour arriver à nos oreilles, c´est celui que vous appellez les enfants des rues. Il y aurait quelque chose qui se trouve comme cassé chez certains enfants. Les enfants de rue ne sont pas nécessairement autistes. Il y en a peut être, mais nous nous trouvons devant une autre énigme: c´est que ces enfants on l´air d´être fondamentalement différents des enfants qu´on appelle normaux. Naturellement, des enfants normaux, ça n´existe pas. Pourtant, on est tous poussés à penser qu´il y a une différence radicale entre l´autisme et l´enfance dite normale. Et le problème c´est, évidemment, d´essayer de la saisir, cette différence.

Je vais essayer de vous dire, à partir de deux cas, deux exemples cliniques, ce qui pourrait faire la différence entre l´autisme et la psychose. Et il va falloir décider s´il y a une différence. Par exemple, pour passer par une voie qui a déjà été tracée, celle qui a été faite par Lacan, je crois qu´on peut penser que, pour Lacan, il n´y a pas une différence essentielle entre l´autisme et la psychose infantile. On a des indications de Lacan qui nous donnent à penser que, au départ d´un même phénomène, se seraient deployées des réponses différentes, selon qu´on est psychotique, débile, autiste et même, ajoute Lacan, affectés d´un phénomène psychosomatique. Alors, c´est quelque chose de curieux ça. Le point de départ qui se trouverait en commun serait une sorte de fossilisation à l´intérieur de la langue. Lacan appelle ça une holophrase. C´est à dire, d´une certaine façon, une phrase écrasée sur elle-même, une phrase sans scansion, sans articulation, une espèce de mot-gigogne (comme les poupées russes qui se mettent les unes dans les autres) C´est quelque chose qui a frappé tous les analystes, cette affaire. Serge Leclaire, qui est un psychanalyste élève de Lacan, mort il y a quelques années, est véritablement entré en la notoriété psychanalytique avec l´analyse d´un rêve, et je pense que c´était un de ses propres rêves à lui, où il avait retrouvé une espèce de mot–clé, une espèce de noyau extrêmement consistant dans son inconscient, et qu´on appelerait en physique un trou noir, qui aurait une densité extraordinaire, un mot qui était indicible, qui était... que beaucoup de analystes connaisent, certainement, qui est poordjeli; il s’agissait de l´exemple fameux du rêve à la licorne, où il y avait un mot écrasé qui etait poordjeli Moi-même, j´ai trouvé, dans mon analyse, des mots qui étaient comme des noyaux durs dans l´inconscient des éléments de la langue, c´était indiscutablement de la langue, mais ça ne veut rien dire. C´est comme un néologisme, mais qui est inutilisable. C´est comme un mot lancé en l´air qui ne s´écrirait pas dans un contexte ni dans une phrase. Il est une condensation. Donc, c´est de l´holophrase primordiale que Lacan prétend voir se différencier un certain nombre de phénomènes, dont vous voyez que certains vont avoir une allure presque simplement corporelle. C´est quand même quelque chose de curieux.

Il faut qu´on se mette d´accord sur un certain nombre de points, avant que je vous parle. Ce que je vais vous raconter n´est pas une révélation biblique. Il n’y a personne qui m´a parlé devant le buisson ardent, donc, que je n´ai pas eu de révélation ni de délire. C´est pourquoi, sans doute, les hypothèses que je vais vous proposer sont hasardeuses, incomplètes, mais c´est parce que je ne veux absolument pas passer par des voies déjà tracées.

Alors, je veux vous parler, pour commencer, d´un enfant psychotique que j´ai rencontré il y a une vingtaine d´années, à Bruxelles. C´était un enfant qui parlait. Et parlait absolument distinctement, mais il ne faisait pas de grandes phrases. Il pouvait dire "c´est fini", il pouvait dire "bonjour", mais il ne récitait pas les fables de La Fontaine. Il comprenait ce que je disais, et j´ai pu comprendre, avec l´anamnèse, j´ai pu comprendre qu´il avait passé une partie de sa toute première enfance avec des chats; et une dame qui s´occupait de lui m´a expliqué que, effectivement, Éric avait été retrouvé dans l´ appartement de sa grand-mère – la grand-mère, je ne me souviens plus si elle était morte ou si elle était dans le coma, mais ça faisait deux ou trois jours qu´il était seul dans l´appartement, avec sa grand-mère inerte, en tout cas, et le chat, qui avait faim, le chat l´avait griffé. Et donc, à partir de là, on a placé l´enfant dans une institution. Voyez, beaucoup de choses sont déjà dites dans ce petit épisode! Qu´est ce qu´un enfant fait chez sa grand-mère? Qu´est ce qu´il fait chez une grand-mère qui n´a pas de contact social? Parce que... quand même, trois jours avant d’être découvert, c´est long. En tout cas, dans une ville comme Bruxelles, on a des contacts quatre ou cinq fois par jour, c`est évident. Et qui étaient ses parents, pourquoi lui, il était là, ce petit garçon, chez sa grand-mère? Peut être que j´ai posé ces questions-là, je ne me souviens plus très bien. Mais la directrice qui l´amenait était un peu spéciale, était un peu particulière. Et ça c´est quand même un élément qu’on va retrouver dans l´autre cas dont je vais vous parler tout à l´heure. Et vous verrez que c´est peut être une dimension qui est souvent oubliée dans les descriptions des cas que la littérature nous apporte.

Cette directrice... bon, il y avait certain éléments, que j´ai compris après, mais... cette directrice l´avait visiblement pris sous son aile, sous son aile maternelle. Elle y tenait beaucoup à cet enfant. Au point qu´elle le prenait en fin de semaine et qu´elle l´amenait, de temps en temps, à la campagne. C´était ainsi qu´elle se dit: "il faut faire quelque chose pour lui". – parce qu´elle était directrice d´un centre pour les enfants psychotiques. A l´époque, en Belgique, les enfants psychotiques et les enfants autistes étaient tous ensemble. Je pense que la révolte des parents enfants autistes a surgi après... Je ne sais pas si au Brésil il y a aussi cette divergence fondamentale entre une théorie de l´autisme, qui est organique, et une théorie de la psychose, qui est plutôt psychogénétique. Mais tout ça il faut le lire comme des symptômes qui nous sont adressés. On parlera, peut être, tout à l´heure, dans la discussion, de ces parents qui gueulent parce qu’ils ne veulent pas être culpabilisés par l´autisme de leurs propres enfants, et il doit y avoir pour ça une raison valable. C´est un discours qui nous est adressé. Ça ne veut pas dire qu´il faut le croire. Ni au contraire, qu´il faut le condamner. Mais il faut se demander comment il se fait que ces parents ne veulent pas ça. Et donc cette dame avait absolument décidé de faire quelque chose pour cet enfant. Cette dame avait un nom. J´ai respecté son nom sous l´anonymat, comme je vais respecter l´anonymat d’ Éric, mais il y avait quelque chose de commun dans les deux noms. A savoir que les deux noms commençaient par la lettre D. Donc, quelque chose avait déjà attiré... qui m´avait frappé: c´est l´appartenance de ce petit garçon à la noblesse. On dit en Belgique, en France, on dit c’est un petit de . Et la directrice portait un nom de famille qui commençait par petit "d´". Alors, ça ce sont des avatars de l´histoire de la noblesse, mais ca vous indique quand même que quelque chose dans la langue et dans le nom propre reliait cette dame à cet enfant. Donc elle me demande de le prendre en analyse ou thérapie. Je ne sais plus ce qu´elle m´a dit. Moi, j´étais jeune analyste. J´étais jeune analyste, j´avais quand même lu Lacan, je savais ce que Lacan disait des jeunes analystes, à savoir, qu´on leur donne toujours les cas impossibles. Et j´étais absolument furieux de cette position dans laquelle on place les jeunes analystes. Sous-entendu, s´il se casse la gueule, c´est pas très grave. Je ne vois pas pourquoi un jeune se casserait plus la gueule qu´un vieil analyste, parce que au moins, quand on est jeune analyste, on a comme qualité d’y croire absolument, on est complètement shooté, drogué par la psychanalyse. Je savais quand même que prendre un enfant psychotique en analyse, ça n´allait pas de soi, c´était difficile. Et donc, la question qui se pose toujours c´est de savoir comment écouter un enfant, dans les conditions qui sont celles de la psychanalyse. Bon. J´avais pour moi une chance inouïe. Comme je rappelais ce matin à José Nasar, j´avais eu la chance à la université d´avoir des enseignants de première valeur, qui avaient réussi à nous faire rencontrer et à nous parler des plus grands psychanalystes européens de l´époque. J´ai déjà parlé de Lacan et de Serge Leclaire, mais dans le champ de la psychose infantile, j´avais déjà recontré Maud Mannoni, Gisela Pamkoff et, sans doute que vous connaissez mieux, Françoise Dolto. Evidemment, ces gens là, quand ils nous parlent de la psychose infantile... . Ils en parlent toujours à propos d’activités de support qui soutiennent la parole parfois même non-proférée des enfants.

(...... são atividades de suporte) Par exemple, Françoise Dolto fait dessiner ses enfants. Gisela Pamkoff leur fait modeler de la terre. Et elles pensaient, toutes les deux, que, par ce médium, que l´enfant serait capable de suppléer aux déficiences de son langage courant et arriverait à nous parler de son inconscient. Peut être que ce n´est pas la bonne façon de considérer les choses et peut-être que l´enfant, au fond, est tout autre que ce qu´il nous fait, dessine ou modèle. Admettons que son inconscient se manifeste au travers, ou grâce à ces activités, qui sont de l´Imaginaire, et que cet inconscient se manifeste par ce détour là. Et donc, si vous voulez, la question qui se pose tout de suite est de savoir pourquoi ces activités imaginaires arrivent à nous transmettre quelque chose que le psychanalyste habituellement n´écoute qu´à travers de langage. Il ne faut pas aller plus vite que ça, on aurait donc transmission de quelque chose par une activité du corps et par l´image, transmission de quelque chose, sans passer par l´activité verbale. Aujourd´hui, après mes travaux, je peux vous dire que ce qu´ils nous transmettent, est une topologie du corps. À l´époque, je m´intéressais pas à ces questions de topologie. Je ne m´y intéressais que sous une autre forme. Avant Lacan, il y eut quand même des gens qui avaient le pressentiment de la topologie. Si vous voyez les écrits de Dolto sur les poupées-fleurs, ou dePankoff, sur les modelages, vous constaterez qu´il y existait toute une topologie du corps. Il y a même des peintres qui se sont intéressés à la question. J´étais fortement impressionné par les travaux de quelqu´un qui s´appelle Hans Bellmer et qui, pendant la guerre de 40 – 45, avait refusé de continuer à faire de la peinture et qui avait passé cinq années à faire des poupées. Il disait : c´est ma façon de lutter contre le nazisme dans mon propre pays. Et ce monsieur a fait des écrits à côté de ses dessins, dont un écrit que je vous recommande de lire, qui s´appelle Petite anatomie de l´image du corps inconscient. Au départ, c´est un texte allemand, mais je sais qu´il est traduit en français (in revue Oblique). Parce que ça c´est une bonne introduction aux questions que pose la psychose. Il n´y a pas que des psychanalystes qui écrivent des choses intéressantes.

Donc... J´avais demandé - pour revenir à mon cas, maintenant - j´avais demandé à Éric de faire quelque chose avec un bloc de terre glaise (argile). Bon... Il devait avoir 8 ou 9 ans. Je n´avais pas du bon matériel. C´était de la terre qui était très dure. Et j´avais pas tellement envie d´amener de l´eau en plus, parce que... alors... ça va faire de la boue. Enfin, on était là, à essayer d´amollir cette terre, je me souviens encore, le morceau était emballé dans du plastique, et je lui avais dit : Vas-y ! Fais quelque chose avec cette partie -là. Et moi, j´avais pris de l´autre moitie et j´essayais de la ramollir dans mes mains. Peut être qu’il s´est passé quelque chose aussi dans cette échange-là. Alors, ce qui s´est passé dans ce moment là, je peux vous le raconter de deux manières : je peux vous le raconter théoriquement ou je peux, d´une certaine façon, vous le mimer. C´est qu´à un moment donné, j´ai eu à peine temps de m’esquiver, et j´ai vu passer le bloc de terre durci. (Risos) Je me souviens, ça a touché tout juste mes cheveux, et j´ai entendu – pam ! – de l´autre côté de la pièce. Alors, ça c`était curieux. Il avait raté la fenêtre de très peu... Donc... Voilà, ça c`est l´histoire mimée. Maintenant, je vous fais la description théorique de la chose. C´est-à-dire que c´est un moment où... -pourquoi... je ne sais pas- le langage est littéralement venu parasiter son activité. Je dirais même son inactivité. Et moi, j´étais là, en train d´essayer - on dit en anglais, to boost... de survolter... de survolter son activité en lui parlant, comme Dolto nous avait dit de faire. J´ai nommé chaque activité, j´accompagnais tout ce qu´il faisait avec du langage. Et je ne sais plus comment le signifiant tête s´était inséré dans notre conversation. C´était pas vraiment une conversation, il n´y avait que moi qui parlais. Je ne sais plus si je lui avais demandé de faire un bonhomme, je ne sais plus si c´était un signifiant qui s´était glissé dans les séances précédentes, peut-être que, simplement, j´ai lui dit : mais qu´est ce qu´il y a dans ta tête ? C´est dans ces conditions discursives que l´OVNI... (rindo) que l´objet volant non identifié a tout juste raté ma tête, pour aller s´écraser sur le mur en face. Et là j´ai eu un petit temps d´arrêt. J´avais déjà compris quelque chose sur le fonctionnement de la psychanalyse. C´est qu´il faut jamais prendre ce qui se passe ou se qui se dit, il faut jamais le prendre au premier degré, mais il faut savoir adopter une position maniériste ou baroque, devant les événements et les mots; en tout cas, ne pas leurs accorder une signification immédiate et transparente. D´une certaine façon, aussi, à la manière dont Freud nous a appris, que le schizophrène prend les mots pour des choses, j´ai pris cette séquence, je l´ai prise extrêmement au sérieux. Le problème est que nous sommes tous cartésiens et que nous lisons les événements comme des gens normaux, qu’on fait toujours la distinction entre ce qui se dit et le contexte qui l´entoure. Par exemple, à l´instant précis où je vous parle, il y a une charmante personne... pas maintenant, mais juste avant, une charmante dame qui vient d´entrer, ça ne m´a pas empêché de vous parler, parce que nous sommes entrés dans un univers cartésien. Quand vous travaillez avec un psychotique, chaque élément, chaque chose est aussi importante qu´une autre. Donc, ce qu´il faut faire, ce qu´il faut bien dire est que, avec un enfant psychotique, il faut prendre au sérieux, comme faisant partie de toute une série égale, tous les éléments signifiants que nous sont apportés. Et donc, il fallait prendre au sérieux ce bloc de modelage, ce bloc de terre qu´il venait de me jeter à la figure. J´aurais pu lui dire – ce que tu viens de faire est interdit -, au contraire, je lui ai dit : mais... tu aurais pu me faire mal ! Donc que je n´ai pas pris ça du tout comme un ratage ou comme un hasard, j´ai pris absolument au sérieux ce qui venait de se passer. Et, à ce moment-là, je l´ai entendu murmurer : casser la tête. Ça c´est... c´est quand même aussi quelque chose d´important. Vous verrez que dans le deuxième exemple dont je vous parlerais tout à l´heure, si vous me supportez jusque là... vous verrez que Roméo, le petit autiste qui venait me voir, lui aussi venait avec un signifiant holophrasique et qui était Romeo est cassé(oéoéaé). J´écris le mot holophrase pour que tout le monde comprenne le mot. Vous savez qu´il faut faire attention à ces choses-là. Même chez les enfants normaux. Il y a quelque chose d’ extrêmement important qui se passe toujours avec leurs jouets. On leur dit toujours : tiens ! voilà un jouet, mais tu ne le casses pas ! Moyennant quoi, les enfants finissent toujours par casser leur jouet. Avec notre esprit cartésien, nous achetons des jouets qui ne cassent pas, on achète dans des sociétés qui font la publicité en disant : jouet incassable. Si votre enfant casse le jouet, nous le remplaçons gratuitement. Alors, comment ces enfants-là, peuvent-ils, un jour, demander à leur père de les réparer ? Vous avez bien remarqué ça, que tous les enfants du monde cassent leurs jouets parce qu´ils savent que la fonction paternelle c´est de réparer. Moyennant quoi papa est toujours Dieu, le Père. Je peux parler longtemps sur cet épisode. C´est extrêmement important, parce que Dieu, le Père c´est qui ? Dieu, le Père c´est le créateur, et nous n´avons pas d´idée de ce que c´est une création. Faire passer du néant à l´être est quelque chose que nous ne pouvons pas imaginer. C´est pourquoi nous avons autant de respect pour ces gens que nous appelons des artistes, parce qu´ils interrogent le signifiant de la création. Donc il me dit : casser la tête ! Écoutez, moi, j´étais dans un état d´excitation et d’enthousiasme, que vous pouvez pas imaginer !. Je venais de presque me faire casser la gueule et j´étais dans un bonheur invraisemblable. Pour une raison que je ne sais pas expliquer, j´étais persuadé que je venais de trouver l´entrée du labyrinthe. Jusque là, j´étais perdu. Et donc, en un instant, je lui ai balancé (envoyé) une métaphore en retour. Bon, naturellement, vous savez que tout ça, ça ne se fait pas par hasard. Et j´avais beaucoup réfléchi sur cette question de la métaphore et de l´acte, et donc il existe -comment pourrais-je dire ça....- une espèce d´affinité qui se crée à l´intérieur de l´interprétation, qui est directement proportionnelle aux travaux théoriques que vous faites à côté. Souvent, ces travaux-là sont très fastidieux, sont très ennuyants. Mais on est récompensé quand on a des insights, quand on a des intuitions cliniques. Et je lui ai dit... je lui ai répondu, du tac au tac, directement... il dit : casser la tête – et puis moi, dans ma tête cela... Effectivement, ça a été très, très vite – et j´ai compris – mais, allez savoir pourquoi ? c´est ça qui est difficile ! – qu´il voulait me dire quelque chose, qu´il ne voulait pas me frapper, que cette agressivité était pas une espèce d’éruption volcanique, que c´était un vrai discours, mais que... comme Benveniste, par exemple, nous l’a montré, l´usage du pronom personnel est tardif dans l´acquisition subjective ; que comme Gustav Guillaume, le linguiste, l’a montré, l´usage de l´infinitif - casser la tête – implique la présence d´un temps, d´une temporalité encore indéterminée. Elle pourrait être déterminée, mais le sujet n´a pas encore fait le travail pour y mettre le pronom personnel. Et je lui ai dit, à Éric: « Ah ! Tu te casses la tête » ! Qui, en français, veut dire « tu te butes à un mur, tu rencontres un obstacle, tu rencontres un noeud, tu t´affrontes à une question capitale, sans pouvoir la résoudre. » Alors, est-ce que c´est compréhensible, dans la traduction, cette métaphore ? (Sim. Nós temos a mesma expressão. Quebrar a cabeça, no sentido de resolver alguma coisa.). Je m´en doutais. On a les mêmes origines linguistiques, donc... Donc, j´ai arrêté la séance sur cette reconnaissance fort étonnante. Je vous fais remarquer que si j´étais à la fois l´interprète, le déchiffreur, j´anticipais également la certitude subjective chez l ´autre, chez Éric, à savoir qu´il avait été entendu et reconnu dans son dire. Ça veut dire que je n´ai pas eu du tout la certitude que lui, avait compris la métaphore. J´ai fait comme Mélanie Klein. Mélanie Klein, quand un enfant lui parle, elle l´interprète, elle interprète directement, dit – elle, en parlant à l´inconscient. Et je pense que c´est souvent ainsi que les choses se passent chez les enfants. On ne reçoit pas l´assentiment subjectif de retour. On ne reçoit pas une réponse qui dit : « oui, je suis d´accord avec toi ». Ils agissent et disent. Un point c’est tout.. Ce sont de signifiants et nous interprétons – ils ne sont pas comme les névrosés en analyse, ils ne disent pas : « oui, vous avez raison ». Ils ne disent pas : « non, vous êtes complètement à côté ». Ce qui veut dire exactement la même chose, nous disait Freud. Donc, ce que je sais c´est que, ici, un terme de Pankoff, puisque c´est comme ça qu´elle parlait, je lui ai greffé quelque chose. En terme lacanien, je nodalisais, j´ai fait un nœud en tressant à la parole. Donc, « tu te casses la tête », c´est de la parole, donc j´ai tressé, par la parole, le réel et l´imaginaire. L´imaginaire c´était le corps de terre qu´il essayait vainement de modeler. Et la parole tentait de nouer ce corps à l’acte..... Vous connaissez touts l’histoire de Dieu qui fit l’hommes avec de la terre glaise puis souffla dessus puis lui enleva une côte pour faire naître Éve. Mon regard s’attarda sur le petit bonhomme qui venait de m’envoyer ce morceau de terre à la gueule puis, je ne sais quoi sur son Tshirt ligné horizontal bleu rose et blanc, horrible et cheap, attira mon attention. Il portait une excroissance bizarre au côté gauche, une sorte de boule osseuse avait grossi sur son corps. Il faut savoir aussi que pour le paiement de la séance, il avait été convenu avec la directrice qu’Éric me paierait à chaque fois d’un billet de 500f belge qu’il m’apporterait lui-même. Sauf que ce qui me parvenait n’était que charpie, confettis de billet déchiré , ce qui n’arrangeait guère mes finances de jeunes analystes !

J’eus l’idée de prendre ces morceaux au sérieux et de reconstruire avec lui et du papier collant, le billet de banque à la manière d’un puzzle. Il en manquait la plus grande part et à ma question de savoir où était le reste, il m’indiqua la rue et les trottoirs. Nécessité financière ou rigueur du signifiant, ou les deux, j’entrepris alors de refaire le parcours inverse qu’il faisait depuis son Centre pour venir me voir et bien vite nous retrouvâmes des morceaux de banknotes sous les voitures et dans les rigoles publiques. Ce petit jeu de récupération dura quelques semaines, au plus grand étonnement des voisins qui voyaient d’un drôle d’œil, ce drôle de psychanalyste chercher sous les voitures de petits morceaux de papiers avec un drôle de garçon qui semblait ailleurs. De fois en fois, la recomposition du billet de 500 fr. s’améliorait et je retrouvais la plus grande partie avec les numéros de série ce qui me permettait d’en obtenir la moitié de valeur à la banque d’en face ! Il n’y manquait plus à chaque fois qu’une partie centrale dont le verso comme le recto étaient occupés par la reproduction de la tête de deux personnages de la vie politique belge du passé.

Le signifiant « tête » était passé par là ou par la trappe comme vous voulez, était-ce à l’échafaud, à la guillotine, mon imagination allait bon train. Je lui fis remarquer que les têtes manquaient et qu’il fallait y greffer un morceau à la place. Dans un moment d’inattention, je me retrouvai alors en présence d’un morceau de tissu qu’il venait de prélever de son côté gauche à l’aide d’une paire de ciseaux qui servaient aux découpes de papier. Le trou dans son Tshirt laissait voir cette excroissance et le tissu ligné bleu rose et blanc servit illico de rustine au billet de banque !

(.........) devant cette logique curieuse, j´ai téléphoné à la directrice et je lui ai posé quelques questions sur le comportement d’Éric, évidemment, sur son histoire, sur cette malformation osseuse. Elle me dit : « mais il a toujours été comme ça. » Je lui ai demandé si elle pouvait me dire des choses sur son histoire d´enfance, et là elle m´a dit : « Ecoutes ! Tu sais ce qu´il faut faire ? Il faut que tu rencontres les parents ». Si je n’avais pas rencontré les parents, ce n’etait pas du tout de ma faute. Ils habitaient dans le fin fond de la France, à peu près 1000 km, et donc... j´attendais qu´ils me téléphonent. Alors, elle m´a donné le numéro du père. Et donc j´ai téléphoné au père pour lui dire : « Je voudrais vous voir. Je vois votre fils depuis un certain temps, j´aimerais parler avec vous ». Le père était ravi. Il m´a expliqué un peu ce qu´il faisait . Il était grand propriétaire terrien, il avait acheté un immense ferme en France. (Vous allez voir l´intérêt de tout ça tout à l´heure.) Et il m´a dit : « Je viens. Je prends un train, je viens. » Et donc je l´ai vu la semaine suivante. Un monsieur charmant. Moi j´étais un peu étonné, quand même, qu´il ne se soucie pas plus de son fils. Mais on a commencé à parler. Et comme mon enfance avait été un enfance dans la campagne, dans la ferme, on a commencé à parler de sa ferme. Vous savez que quand un psychanalyste parle de n´importe quoi, il possède des autres oreilles là-aussi. Et donc... il m´a parlé de son bétail, j´ai posé des questions sur le type de bêtes, quel type de vaches il élevait.. J´avais suffisamment de connaissance pour savoir que c´était un bétail difficile à élever. Ça donne de la viande, mais c´est fragile. Et donc il s´est mis à me raconter un certain nombre de trucs sur sa ferme. Je me souviens, il y avait deux éléments qui m´ont frappé : que son bétail était frappé d´abcès, de furoncles (on appelle ça de flegmont ) qui se mettaient dans les articulations de son bétail. - Maintenant, on a la vache folle, mais, à ce moment là, c´est seulement les enfants qui devenaient fous. Et puis, il m´a parlé d´une étrange maladie que les arbres de sa propriété avaient attrapée. Vous savez, une espèce de nécrose intérieure à l´arbre, au tronc. Naturellement que tout ça arrive partout, que toutes les bêtes du monde ont des abcès, que tous les arbres du monde périssent par une nécrose intérieure, mais tous les pères d´enfant et tous les fermiers ne racontent pas ça. Je veux dire que l´inconscient est transindividuel, donc, que je pris au sérieux, toujours, avec cette logique de la psychose, j´ai pris au sérieux les éléments signifiants qui arrivaient. Et évidemment, il ne faut pas être un vieil analyste pour se dire que un flegmon, sur un genou de vache, ça provoque une excroissance. Et là j´ai commencé à être furieusement intéressé par tout ce que ce monsieur me racontait. Et je dis : « Mais qu´est ce que vous faites en France ». Et il m´a dit : « Ça, monsieur, c’est une longue histoire. J´étais, au départ, - dit-il - propriétaire d´une grande ferme en Algérie, et nous avons dû partir de là-bas au moment de la révolution algérienne. Et à un moment donné, le général De Gaulle va donner l´indépendance à l`Algérie.… » C´est pas inintéressant ça. Ça veut dire que la guerre, dans la vie de quelqu´un, c´est quelque chose d´important. Il y a des français qui sont restés en Algérie, qui ont pris le parti de l’ Algérie algérienne, et il y a des français qui ont décidé de revenir en France, puisque on leur aurait offert un dédommagement. Ecoutez, ça situe quand même aussi les opinions politiques de quelqu´un ! Ou vous êtes du côté du colonialisme ou pas. Alors, moi j´étais un peu plus loin, quand même, parce que ce que Dolto nous avait raconté c´était qu´il fallait trois générations pour faire une psychose. J´avais, évidemment, des éléments intéressants du côté du père, j´ai eu à interroger du côté des grands-parents. Je ne me souviens plus de la branche matrilinéaire. Probablement que je n´y est trouvé rien d´intéressant. Mais là, du côté du grand-père, ça ce fut quelque chose d’ exceptionnel. Le grand-père, donc qui était un noble, amenait la charge de son compagnie, pendant la guerre 14 – 18, sans doute dans une des plus grandes boucherie humaines qui y ait existé - et ce, dans la région qui était... (c´était un hasard, mais il y a pas d´hasard dans la psychanalyse) une région qui est exactement à 80 km de mon village d´enfance : frontière belgo-française. Et à peu près durant quatre années, les armées allemandes et françaises se sont affrontées. Sur un front qui fluctuait d´à peu près 100 km. Personne ne voulait céder, et on voyait les compagnies, les unes après les autres, gagner 50 mètres, 100, 200 mètres. (Et il y a un film qui vient d´être fait là-dessus, Captain Conan... Ça vous dit quelque chose ? Bon, je vois que... Bon. C´est une boucherie. Moi, quand je me promenait dans ma région, il m´arrivait encore, parfois, après la pluie, de voir surgir dans un champ un tibia que l´eau vient de découvrir. Parce que les fermiers ont charrué et, de temps en temps, ils font remonter à la surface des ossements de cadavres qui ont été enterrés là, enterrés par les bombes. C´est une boucherie innommable. C’est donc dans ce contexte là, que le grand-père d´Éric, aurait été touché par un obus allemand et aurait été laissé pour mort sur le champ de bataille. Et comme le front fluctuait tous les jours, à l´heure de la contre-attaque allemande, son corps est passé dans le camp allemand. Et les allemands ont découvert qu´il vivait encore. Ils ont amené le blessé, gravement blessé, vers l´arrière des lignes, et en regardant ses papiers militaires, ils ont aperçu que le grand-père était un noble. L´armée allemande, à l´époque, était dirigée par le roi de Prusse, tous les généraux étaient nobles, il y avait une espèce d’ idéalisation de la noblesse dans l´idéal guerrier allemand. Ça a donné l´occasion au grand-père d`Éric d´avoir un traitement de faveur et d´être envoyé, par le capitaine de l´armée allemande qui l´avait retrouvé, dans un hôpital sérieux. Et malgré la gravité des blessures, cet homme se rétablit. Et il a terminé la guerre en Suisse, dans un sanatorium. Quand la guerre a été finie, on a proposé, en France, aux soldats et à la population, de partir en Algérie pour coloniser le pays et établir des fermes. C´est comme ça, c´est le grand-père qui a émigré en Algérie. Alors, vous allez dire, pourquoi toute cette histoire ? Parce que deux fois de suite...mais tout ça, c´est le père qui me l’a raconté. C´est comme si j´avais tourné le bouton d´une bande d´enregistrement qu´était préparée depuis longtemps. Et deux fois de suite, le père fait des maladies brutales. On appelle ça de la septicémie. Infection généralisée. Et personne ne comprend pourquoi cet homme, dans la force de l´âge, fait une maladie pareille. Et donc chaque fois, cet homme se rétablira. Sauf que au moment de la deuxième septicémie, je ne suis plus sûr de la date, mais je pense que c´est 38 – 40, au moment de la deuxième guerre, on a inventé des choses nouvelles : on a inventé le rayon X, et retournant en Suisse, dans son sanatorium où il avait été, on fait une première radio et on comprend ce qui se passe. Depuis à peu près 20 ans, ce monsieur se promène avec un éclat d´obus coincé entre deux côtes. Et comme les sulfamides ont été inventés, au même moment, à peu près, il est traité correctement et guéri. Moi, j´entends tout ça et je me pose une seule question: comment cet éclat d´obus s´est-il transformé en excroissance sur le corps d´Éric ? Personne ne sait comment la vie et la génétique se conjuguent. Et ces choses-là sont, évidemment, extrêmement surprenantes, sont fort énigmatiques. Et même si dans la définition classique de la psychose, on peut dire que la psychose c´est un discours de l´Autre, on est bien obligé de se rendre à l´évidence, ici, que la psychose d’Éric, c´est un discours in-su (qu´on ne sait pas) du grand-père. Il faut pas faire de grande théorie, il faut pas aller chercher chez Lacan ou chez Freud tout ce qu´a déjà été écrit à l´avance sur ces affaires, on a pas besoin de ça. Le cas va parler de lui-même. Avec l´avantage que... on va voir qu’il y reste plein de questions. Comment se fait–il que cette psychose se soit déclenchée chez le petit fils ? Peut-on penser que la crainte de la mort soit à ce point responsable d´une psychose infantile ? Mais on peut aller plus loin, parce que le discours du père nous renseigne aussi dans certain nombre de choses. Il nous dit : « il y a plein nécroses dans la nature. On dirait, qu’il y a un savoir mortel dans la nature qui affecte mon patrimoine. Si vous vous me permettez de le dire d´une façon positive, la croissance naturelle est atteinte ». Et le troisième élément que je vais privilégier, c´est celui de la colonisation, quand même, et de la guerre. Qu´est que c´est la colonisation, qu´est que c´est l´indépendance d´un pays, qu´est ce que c´est cette guerre franco-allemande... On est emmerdé, pour le moment, par tous les Balkans qui se révoltent sans arrêt, mais... ils étaient déjà responsables de la guerre 14 – 18. J´ai construit, dans un autre contexte, mais petit à petit, l’hypothèse de ce que Lacan appelait des noms du père. Mais je dis, parmis les noms du père, j’en nomme trois. Je pense qu´il y en a d´autres, mais... bon, il faut travailler pour ça. Je pense que un enfant ne peut pas se civiliser, ne peut pas entrer dans le désir humain, si certain signifiants ne sont pas présents dans la vie de ses parents, de ces grands-parents, finalement, de sa vie à lui. Est-ce qu´on pourrait dire comme ceci : l´inconscient de chacun nécessite au moins trois noms du père. Alors, je ne dis pas trois pour être normal, je suis très... je ne pas dis humble, parce que serait de la fausse humilité. Non, je suis content d´avoir trouvé ce que j´ai trouvé, mais je pense qu´il faut savoir reconnaître la limite de notre travail. Je pense que parmi les noms du père, ce qu´on appelle la crainte de Dieu, ce qu´on appelle la croissance et ce qu ´on appelle la liberté sont trois noms du père essentiels. Alors, la crainte du Dieu c´est ce que vous rencontrez dans l´histoire du cas, sur la forme de la guerre et de la crainte de mourir. (A tradutora se perde, e ele repete) La crainte de Dieu c´est ce que nous retrouvons dans ce cas, sous la forme de la mort. La mort c´est le maître absolu. On voit qu´il est placé, ce maître absolu, dans la vie du grand-père comme inaugurant à lui seul tout un circuit. On voit aussi que le trouble sur le bétail et sur le patrimoine de la ferme sont des indices qui nous donnent à penser que la croissante est atteinte. Ecoutez, un psychanalyste c´est quand même, comme disait Lacan, comme disait Freud, quelqu´un qui ne peut pas se satisfaire du savoir clinique tout simple. On doit tout connaître. S´il est impossible, il faut connaître le plus possible. Il faut être curieux, s´intéresser à tout, sinon vous ne comprendrez pas que le début d’Oedipe-Roi commence exactement comme l´histoire du père. Qu´est ce que le chœur dit ? La peste s´est abattue sur la ville, les animaux ne grandissent plus, la croissance des plantes est affectée, est atteinte. Je me souviens d´avoir eu en analyse, à peu près au même moment, un petit garçon qui venait au moins cinq fois par séance se mettre contre moi et vérifier sa taille contre la mienne. Évidemment, il m’a expliqué que la raison de tout ce trafic, était d´inscrire de repères sur mon corps, pour mesurer s´il grandissait. C´est extrêmement fatigant, pour un psychanalyste. Nous étions en train de parler ou de dessiner, il se levait de sa chaise et venait s´asseoir à côté de moi, et se mesurait. Il mesurait s´il grandissait. Vous voyez ? Partout, il faut regarder partout, dans la nature, dans le monde, dans la culture aussi, cette dimension de la croissance est interrogée. Absolument. Et même dans la littérature, que ceux qui s´intéressent, par exemple, qui font de l’interprétation littéraire, qu’ils lisent Victor Hugo, La éegende de Sièclse, qu’ils lisent, par exemple, le poème qui s´appelle Booz endormi, un poème fameux, parce qu´il y a là-dedans une métaphore qui est utilisée dans toutes les écoles franco-belges, comme exemple de ce que c´est une métaphore, sans que les professeurs sachent quel or ils sont en train de manipuler. C´est l´histoire de Booz, qui est un propriétaire terrien, qui est à la fin de sa vie, qui n´a plus besoin d´argent, il pourrait être tranquille, il a fait du bien à tout le monde, et, à un moment donné, il y a une femme qui vient se coucher à ses pieds. Dans des circonstances assez intéressantes. Même dans la Bible... C´est vraiment passionnant. Et donc elle vient se coucher à ses pieds, dans l´espoir que Booz la prenne comme femme. Il y a cette métaphore extraordinaire qui surgit sous la plume de Victor Hugo, et que Lacan a repris d´ailleurs, -mais il l´a reprise dans la littérature française comme telle, où elle existait bien avant lui -, et qui est « sa gerbe n´était point avare ni haineuse »

(..........) J´ai pu montrer, dans des textes qui sont déjà anciens, comment cette métaphore est littéralement construite par trois des noms du père qui sont présents dans le poème. Par trois signifiants du nom du père, qui sont : la crainte de Dieu, la liberté perdue et la dimension de la croissance.

Voilà. On va clôturer la première partie, en tout cas, de ce que je voulais vous dire, en référant la psychose infantile à quelques éléments que lui sont caractéristiques, qui est une désintrication des trois noms du père, sur trois générations. Et je peux vous dire, tout de suite, que c´est ce qu´on ne verra pas dans l´autisme.

DEBATE

Pergunta - Eu queria fazer uma pergunta. Se fosse possível dele responder rapidamente, diferenciar um pouco mais autismo e psychose e essas teorias que existem de que o autismo seria uma psychose. E a questão da transferência da psychose e do autismo e a teoria que existe, por exemplo, em alguns autores, e também de Jean Alouche, do lugar do analista tinha da transferência psicótica, o lugar de secretário, por exemplo.

Resposta - Alors, je veux bien répondre succinctement. A mon avis, ça n´importera pas beaucoup de répondre en peu de mots, parce que, par exemple, si on prend la expression « se faire le secrétaire du psychotique » qui est un des discours qui existe concernant la place de l´analyste, vous voyez que c´est exactement ce dont j´ai parlé tout à l´heure. Le psychotique comme maître du savoir, nous montre un certain nombre d´éléments, je suis obligé de les noter, comme secrétaire, de les rassembler. Bon, par exemple, je veux rassembler le bloc d´argile qui me passe auprès de la figure, je vais le mettre en rapport avec un trou dans le pull-over (Tshirt), je vais mettre ça en rapport avec un billet déchiré et un certain nombre d´éléments signifiants qui vont se répéter, et on ne va pas appeler ça un désir, on va l’appeler un savoir qui se constitue. Par exemple, dans ce cas que j´ai rapporté, un savoir familial. Un savoir familial qui est, en effet, un non – savoir. Mais, effectivement, je me suis rendu, je me suis fait secrétaire de mon psychotique. Mais j´ai fait plus que ça, je n´ai pas simplement joué le rôle d´un enregistreur. Il me semble, ce qui est essentiel c´est que j´ai été convaincu, j´avais la certitude subjective que tous ces éléments de secrétariat étaient liés entre eux. C´est à dire qu´ils étaient adressés à quelqu´un. Moi, je pense que le transfert-là, il est littéralement produit par l´analyste. C´est cohérent avec la technique, avec la pratique de Lacan, puisque ce que Lacan nous dit c´est qu´il n´y a pas de transfert sans contre-transfert. Et que le contre-transfert, lui, il a appelé autrement, il l’ a appelé « désir de l´analyste ». Donc, ce qu´il faudra interroger c´est le passage entre le secrétariat et le désir de l´analyste. Est-ce que j´ai apporté plus que le fait de noter des éléments les uns à la suite des autres ? Oui, j´ai apporté quelque chose. Ce que j´ai apporté de plus c´est une métaphore. C´est une métaphore qui s´est imposée à moi, ça m´a échappé. Elle m´a échappé. C´est-à-dire, si je n´avais pas dit « tu te casses la tête », si j´avais pas construit, à ce moment-là, une métaphore, ni lui, ni moi ne serions entrés dans ce discours, qui avait l´air de dire à celui qui voudrait bien le lire : « vas-y ! y a un savoir, y a un savoir dans réel, y a un savoir qui me fait pousser ; mais qui le sait, qui connaît ce savoir » ? Et moi personnellement, je me demande comment il s´est fait que j´ai cru à ce savoir. J´ai fait, quand même, un certain nombre de fautes techniques. Si j´avais été à l´IPA, ç´aurait été assez problématique. Vous ne voyez pas un psychanalyste de l´IPA à quatre pattes, en dessous d´une voiture, pour chercher, pour ramasser un petit morceau d´un billet. Donc il y a là, effectivement, quelque chose qui dépasse le simple fait. Qu´est-ce qui fait qu´un analyste lacanien, par exemple, est poussé a tenir une certaine position, un certain lieu, qui va plus loin que d´être le secrétaire ? Qui va jusqu´à, quand même, installer une métaphore. Ce que je veux dire, si j´ai encore le temps de parler après-midi, sur un cas d´autisme, c´est que, dans l´autisme, je ne pense pas que cette dimension transférentielle est semblable. Je ne pense pas que le nom du père fonctionne dans la structure, comme il fonctionne dans la psychose. Je pense que dans l´autisme, l´autisme nous indique qu´il y a un certain savoir à construire, mais je ne pense pas que ce savoir dépende des générations. Donc, là il y a quelque chose qui est radicalement différent. Et c´est pour ça que j´ai commencé mon exposé en rappelant ce que Lacan dit de l´holophrase. C´est un mode de fossilisation dans la langue, qui peut avoir plusieurs destins. Lacan dit : psychomatique, débile, psychotique, on peut ajouter autiste, selon le mode d´événement de la subjectivité. Mais ça c´est du travail pour nous maintenant. Il y a un travail à faire pour essayer de voir comment le déploiement de l´holophrase peut se faire dans le champ psychomatique, avec un enfant débile, avec un enfant psychotique... Je viens de vous montrer comment... il faut tirer les leçons de cette histoire. Et si on a un peu de temps, je vous montrerais, pour un enfant autiste... ( Como há pouco tempo, o assunto fica para ser continuado no dia seguinte. )

Pergunta - Jean – Paul, eu queria, ainda falando sobre a questão da transferência, que você comentasse um pouco, através até do trabalho da Maud Mannoni, o lugar da instituição, particularmente de uma escola, o cuidado no trato com as crianças psicóticas. Qual é a questão que se coloca para essas crianças, que torna-se necessário este lugar de acolhimento, de cuidado, e a possibilidade da sua inserção nas escolas de ensino regular.

Resposta - Oui. Là ça veut dire que vous me demandez, pratiquement, d´abord, de faire une autre conférence et de m´appuyer sur ce que je pense. C´est complètement différent, comme réponse du sujet, dans l´autisme et dans la psychose. Alors, quand même, il faut être suffisamment humble, voyez bien que cet exemple, il est bien construit, je vous assure qu´il est absolument vrai, quand vous rencontrez un cas comme ça, vous ne l’ oubliez jamais, mais je n´ai pas fait une analyse d’Éric. Je l´ai vu , peut-être, pendant quelques mois, et mon travail avec lui, a simplement consisté à interroger la structure. Je n´ai pratiquement pas eu le temps de lui parler de son grand-père. Hasard ou pas hasard, quand j´ai obtenu toutes ces révélations, la directrice est venue me trouver, en disant, voilà, il y a un problème : j´arrête d´être directrice de cette institution, moi, j´ai travaillé assez dans ma vie, et je pars à faire de la plongée sous-marine aux Seichelles. Ça veut dire que j´abandonne Éric. Je le laisse à Bruxelles. Il va devoir aller dans une autre institution, et donc... probablement, personne ne va envoyer Érice déchirer ses billets de 500 francs chez Jean-Paul Gilson. Est-ce que je peux parler d´un transfert avec Éric ? Moi, je ne pense pas. Comme tel, je ne pense pas. Il y en a un de moi vers lui. Je sais que moi, j´ai mis, comme on dit en français, j´ai mis le paquet. J´ai fait le maximum. Mais lui, qui sait ce que ça a eu comme effet ? La dernière fois que je suis rentré en Belgique, pratiquement 20 ans après ce que je vous raconte, un des mes analysants, qui est devenu psychanalyste et qui dirige une institution nouvelle m´a dit : « tu sais, dans ma institution il y a quelqu´un que tu connais. Quelqu´un dont tu t´es occupé il y a longtemps ». Il m´a dit ça entre deux portes. Je lui dis : « mais qui ? » Il me dit : « Éric » Donc, pendant 20 ans, je n’avais plus entendu parler d´Éric. Je dis : « comment tu sais ça » ? Alors, il m´a dit - évidemment, en lisant le rapport du cas – il y est inscrit, qu´il a été, pendant quelques mois, qu´il a été te voir. Donc, il paraît qu´il se souvient de moi. Mais c´est tout, je ne peux pas dire quel impact, quel influence j´ai pu avoir sur lui, je ne sais pas. Mais moi je sais quelle influence il a eue sur moi. Je lui doit vraiment quelque chose d´extraordinaire. Jamais je n´aurais imaginé que l´inconscient freudien pouvait être aussi redoutable. Jamais, je n´aurais trouvé tout seul, même dans mon analyse, qu´il fallait croire et prendre en compte à ce point chaque menu détail à l’ intérieur d´une cure. Dans la vie aussi, mais vous n´êtes pas le psychanalyste des gens que vous rencontrez dans la vie ! Mais si vous voulez donner une place au sujet, il faut prendre en compte chaque détail. Est-ce que le transfert à l´égard d´une seule personne est fondamental pour le psychotique ? C´est ça la question : Est fondamental pour le psychotique ? Moi, je me souviens, parmi les gens que j´ai rencontré, d´avoir beaucoup parlé de ça avec Jean Ouryi, qui est un psychanalyste, quand même assez célèbre, lui et sa femme et un autre psychanalyste ont été les premiers, pratiquement, à construire une institution ouverte( Laborde) pour les psychotiques adultes. Et donc lui, il prétend que l´institution est essentielle pour le psychotique. Parce que, pour le psychotique, personne – disait-il - personne ne peut prédire à l´avance, l´heure, le lieu et la personne avec qui les éléments de transfert vont se déclencher. Par exemple, ici, avec Éric, on peut dire que m´envoyer le bloc à la tête est un élément de transfert. Il me dit, d´une certaine façon, « tu es capable de lire ce que je suis en train de faire » Mais même, je dirais, le psychotique ne dit pas « tu », il dit « on est capable ». Ce que Lacan dit, alors, sous sa forme à lui, c´est : « je suis agi par un savoir qui est lisible dans la nature». Mais, la manière par laquelle un psychotique dit ça, n´est accessible qu´au psychanalyste. Parce que ça fait des générations qu´il y a des psychotiques. Il a fallu attendre la psychanalyse pour qu´on puisse reconnaître que le psychotique nous dit « il y a un savoir lisible dans la nature. Veux–tu le construire? » Par exemple, le paranoïaque qui, lui, dit « il y en a un qui est inscrit dans la nature, et celui qui le lit, m´en veux. » Bon, mais... oui... Donc c´est difficile d´être psychanalyste avec un paranoïaque. Si vous lisez le savoir qui l´agit, qui le fait bouger, vous devenez, automatiquement, le persécuteur. J´ai eu le cas, à Montréal, il y a pas longtemps. C´est très curieux. Alors, pour répondre à la question de l´institution, c´est elle, qui va se trouver en place de lire ce savoir. Plus on se donne de chances, mieux c´est. C´est la position de Jean Oury. Mais, il a ajouté que c´est évident que, une fois que le transfert s´était établi, il y a certains lieux et certaines personnes qui viennent à être privilégiés. A l´intérieur de l´institution, il y a comme une multiplicité de lieux de transfert, mais, une fois qu´il y a un lieu qui est investi, il faut absolument respecter ce qui se passe : l´effet qu´il y a un lieu et une personne privilégiés. C´est le problème dans les institutions, ça, parce que parfois c´est avec le stagiaire ou avec la femme de ménage. Alors, les psychologues sont fâchés. Pourquoi lui, pas moi ? Mais on ne sait pas. Les voies du seigneur de la psychose sont impénétrables !. Vous devez bien vous dire que la clinique lacanienne, la clinique de la psychanalyse, oui, la clinique lacanienne, pour que c´est comme ça que Lacan l´a formulé, c´est ceci : « le lieu où depuis toujours un patient attend d´être entendu par son psychanalyste. » Quel est le lieu du psychotique ? Qui peut le savoir ? C´est pour ça que j´ai insisté comme ça sur cette directrice maternelle. Parce qu´il faut reconnaître qu´elle avait drôlement bien préparé un lieu où ça pouvait parler, où le transfert allait pouvoir s´installer. Et donc, j´ai eu la même chance avec un autiste, où une de mes analysantes, en formation, pendant trois ans, a travaillé avec un petit enfant autiste. Moi, je dis, « elle a préparé les conditions d´un transfert, elle a préparé les conditions d´une mise au savoir... Evidemment, je l´avais sur mon divan, moi, cette dame, elle me parlait de cet enfant, mais je ne peux pas, néanmoins, malgré ça, je ne peux pas vous dire comment elle a fait pour qu’ il soit prêt. Il y a quelque chose d´un peu curieux qui participe de l´instinct maternel désirant, d´un certain nombre d´activités du corps qui font fort penser à la manière dont les mamans s´occupent des enfants. Mais je n´oserais dire, théoriquement, que c´est comme ça qu´il faut faire. Et l´effet est que, dans les deux exemples dont je voulais vous parler, chaque fois les enfants ont été préparés par une femme à venir parler à un analyste. Alors, par exemple, on peut considérer que l´institution pourrait remplir ce rôle-là : préparer un enfant à pouvoir être entendu comme sujet, par celui dont tel est le métier. Nous faisons ce métier....

21/05/1999

(Não encontrei a continuação dessa palestra)

Transcrição : Lia Carneiro da Cunha. - Junho de 1999.