Surtout du passeur : petite
clinique de la passe « Le passage du psychanalysant au psychanalyste a une porte dont ce reste qui fait leur division est le gond, car cette division n’est autre que celle du sujet, dont ce reste est la cause. Dans ce virage où le sujet voit chavirer l’assurance qu’il prenait de ce fantasme où se constitue pour chacun sa fenêtre sur le réel, ce qui s’aperçoit, c’est que la prise du désir n’est rien que celle d’un désêtre. […] Car il a rejeté l’être qui ne savait pas la cause de son fantasme, au moment où enfin ce savoir supposé, il l’est devenu. » (Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967… », p.25) Faut-il entendre : rejeter 1’être qui n’EST (être) que de ce qu’il ne sait pas 1a cause de son fantasme ? L’être rejeté, resterait la cause du fantasme, cause sue ? Désêtre qui entraîne en sa chute, fantasme, sa cause et la position dépressive ! Il convient d’examiner cela et faire échec à la tentation de se servir de souvenirs illustres (M. Klein par exemple). Plutôt fair sentir ce que d’être a pour effet : d’oblitérer la place et la fonction de l’objet. Faut-il rappeler l’exemple fameux d’Hamlet : te be or not to be. Et ce que la psychanalyse avec Lacan dévoile de ce mirage, ce n’est pas tant la dimension de meurtre du père, inconscience supposée à Hamlet, que les effets de non-agir qu’emporte avec soi une position dépressive rivée à la structure d’un fantasme qui ne sait pas sa cause. Le savoir (savoir la cause) ici c’est une articulation logique, là où ce savoir passe dans les rets de la supposition de l’autre et déclenche le double processus d’aliénation et séparation. Je m’attacherai aujourd’hui, de l’expérience de la passe, essentiellement à en dégager un double aspect. Celui de l’objet quand il est pris dans l’analyse et celui de son « aveu », de sa transmission signifiante par un quidam dont c’est la performance. Performance qui n’est pas due au hasard ou au bon vouloir. Performance n’est pas compétence. Je vous propose de partir d’un petit texte de Freud : Ein Traum als Beweismittel (G.W. 1913) parce que ce petit texte se termine sur une notation conclusive de Freud qui est des plus énigmatiques, et non-habituelle dans son œuvre : « En raison de la distance, laquelle sépare l’analysant de l’objet de l’analyse, il est conseillé de ne pas presser plus avant dans le tissu de ce rêve ». On peut dès maintenant s’arrêter sur cette phrase qui nous fait sentir, avec une certaine surprise à chaque fois, je suppose, combien la visée de Lacan est coulée dans l’interrogation freudienne. Et je propose donc de considérer cette distance qui sépare l’objet de l’analysant, comme n’étant rien d’autre qu’un autre mot pour désigner un processus dont la fin nous occupe aujourd’hui. Soit une tentative de maintenir dans l’être un sujet qui ne sait pas la cause de son fantasme. Qui-ne-sait-pas est la distance-qui-sépare, qui fera l’objet (!) d’un examen minutieux dans le processus de séparation dans l’analyse. Ce rêve, comme la tragédie d’Hamlet, pourrait se laisser interpréter, transpercer du regard analytique surtout quand il se fait symbolique, au vieux sens du mot. Car on peut en effet presser ce rêve au maximum et c’est précisément contre quoi Freud nous met en garde. Ce serait possible mais la distance est encore trop grande entre l’analysant et l’objet de l’analyse. Qu’est-ce à dire ? On peut comprendre et c’est intéressant pour les développements que cela comporterait. Si l’on dit par exemple, qu’un rêve, un lapsus se laissent interpréter au grand dam de l’analysant qui résiste et n’accepte pas, on ne dit rien d’autre que ceci : la résistance à l’approche du noyau de Deutung dernier d’un lapsus ou d’un rêve, s’apparente à cette distance, cette distance entre l’objet et l’analysant. Remarquons que Freud dit objet de l’analyse et ne pas se précipiter : ceci éclaire la fonction de la résistance, non pas empêcher le Moi d’accepter le Kern inconscient mais témoigner de la position du sujet aux prises avec cause du fantasme qu’il ne sait pas. Venons-en à ce rêve. C’est un rêve particulier parce qu’il consiste en une triple démarche à l’intérieur de laquelle seront impliquées trois personnes : Freud, une de ses patientes, et la garde-malade, la rêveuse. Cette triple démarche vise assez bien à illustrer un titre : « Un rêve comme moyen de preuve ». C’est aussi la thèse que je propose d’examiner : la cure possède un objet qui lui est propre. Cet objet a la forme logique du démontrable (le poids de l’être). Le lieu de cette démonstration est l’inconscient. L’abandon du démontrable dénoue la cure. Une patiente de Freud, dame obsessionnelle, rivée à l’être de ce qu’elle est ainsi qu’on peut l’être dans une compulsion de doute (cf. le doute systématique) possède une garde-malade dont la fonction semble se résumer ici à incarner le regard, soit l’objet, dans son versant le plus insoutenable, sadien : qu’elle ne la quitte pas des yeux ! En d’autres termes, qu’elle ne s’endorme pas afin que notre dame obsessionnelle ne commette pas quelque interdit. A vrai dire, ce n’est pas tant qu’elle les commettrait ces interdits que de pas savoir si elle en a commis dont il est essentiellement question. Ce poids déversé sur les paupières de l’autre, (la garde-malade) va l’endormir. On n’égale pas sans dommages l’objet et l’autre, on l’endort ! Cet endormissement est capital car il met en valeur le ressort caché de cet objet regard qui ne s’égale pas à l’organe et à ses ramifications neurologiques mais qui s’accompagne d’un moment subjectif : qu’on s’endorme ! On s’endort ici pas d’hypnose mais d’insupportable, ce que le rêve a pour tâche d’illustrer. Et afin de vous indiquer une piste dans ces méandres, je propose un sous-titre. Car sous le démontrable (Beweis) c’est l’enfant dont le rêve se sert comme objet de démonstration. Ein Kind wird verloren, qu’un enfant soit perdu, voilà l’objet mis en scène par le rêve de la garde-malade pour condenser ce double temps qui noue l’objet au sujet : aliénation et séparation. Chacun y trouvera son compte, mais pas dans le même discours : Freud y voit une vérification de sa théorie du rêve mais il restera cependant un rien interdit ! La dame obsessionnelle, une vérification de la certitude de son doute : sa garde-malade s’était effectivement endormie ce jour-là. La garde-malade, une présentification inconsciente de l’objet de son désir dans un rêve qui dit l’insupportable sadien de la situation où elle s’est placée. Ce rêve tourne autour de la fonction du sommeil et du réveil. Aussi bien Freud, sa patiente ou la garde-malade. On peut même ajouter à ce propos que la patiente de Freud, la dame obsessionnelle, fait à cette occasion la passe d’un rêve qui se manifeste sous la forme d’un endormissement. Elle en fait la passe mais c’est une passe contaminée, c’est pourquoi, Freud malgré le vif désir de voir sa théorie du rêve vérifiée maintient des réserves à l’analyse (cf. Névrose psychose et perversion, pp. 199 et sq). Qu’il y ait contamination, mélange, Ersâtzung de l’objet du rêve de l’une (la garde-malade) à l’objet du rêve supposé par l’autre (la patiente de Freud), nous amène à nous poser deux questions : - Pourquoi ce passage ? - Comment rapporter de manière non contaminée le discours d’un autre ? Freud pour sa part, enregistre cette Ersâtzung. Il pense que pour sa patiente, être surveillée s’égale à un retour à l’enfance (où on est sous la surveillance des parents). Perdre l’enfant dans le rêve, s’égalerait à perdre la vue et donc à s’endormir. Il enregistre que la patiente interprète le rêve de sa garde-malade en fonction de son objet à elle : le regard. Mais « qu’on s’endorme » est un acte qui déborde sa réduction à un quelconque visible et invisible et n’entre pas dans l’équation supposée de la patiente de Freud : être surveillé, retour à l’enfance, perdre l’enfant, perdre la vue ® s’endormir. Dans ce défilé des signifiants, dans le rêve, quelque chose vient à s’exempter et à occuper cette place jusque dans le discours du rêve lui-même puisque parmi toutes ces associations, se maintient de l’insolutionné. Il y a du signifié qui se maintient hors du signifiant. La perte (de l’enfant) du rêve, disparu dans l’espace est le point obscur du rêve qui n’a pas de solution, n’entre pas dans la discursivité et se trouve cause du sommeil. La patiente de Freud ne veut rien entendre de ce signifiant refoulé qui endort et aussi par l’opération du rêve, trouve une Wunscherfüllung qui tranquillise. En fait, cette dame fait à propos de sa cause elle - qui se manifeste dans son doute - symptôme de surface d’une cause à elle insupportable - la même opération que le rêve de la garde-malade réalise pour cette dernière : tempérer la poussée de la pulsion quand elle enveloppe « a ». Le prix de la tranquillité de la dame est le mépris de la cause de la garde-malade. L’équation dormir-perdre la vue-perdre l’enfant devient une sorte de goupille-solution à l’angoisse de la dame obsessionnelle. Elle permet le retour sur la scène discursive du démontrable que l’angoisse avait réussi à lézarder. Car la dame, patiente de Freud, ne s’interroge pas sur la question de la garde-malade, question laissée insolutionnée dans le rêve et sur laquelle se trouve plaquée une réflexion déviée concernant le rapport sexuel. En fait, il y a passe contaminée de la question de la garde-malade par la question de la dame. Avec ceci de piquant que dans cette opération, la dame perd son doute à propos de l’autre. Voilà qui situe au passage, la fonction du doute à la place où nous avons déjà reconnu la dénégation, appel à l’autre à l’endroit du refoulement. Le piquant, c’est que le symptôme de la dame est en quelque sorte l’acte du démontrable en tant que tel, la recherche de la preuve, de ce qui cause l’acte de l’autre. En somme, la dame est passeur par symptôme, cf. p.202 : « Mais j’en ai conclu ... » (en fait sa cause à elle). Freud confirme et nomme pour la garde-malade, le rêve avoue ce que la garde-malade avait nié, qu’elle s’était assoupie et avait craint pour cette raison qu’on lui retire l’enfant confié à sa garde et qu’on la renvoie. La question que pose Freud finalement est celle-ci : qu’est-ce qui rend possible dans un rêve l’aveu qui est préjudiciable au rêveur ? C’est le fait qu’un trait latent de son caractère se sert de cet aveu pour se manifester. Pour Freud ce trait c’est le désir d’avoir un enfant. Pouvons-nous nous satisfaire de cette explication de Freud ? Non. Le vœu du rêve c’est l’aveu, oui mais pas dans sa transparence devant laquelle hésite Freud. Il s’agit de l’aveu de ceci : que du démontrable est au cœur du rêve, du démontrable, suscité par le symptôme de la dame, symptôme de demande de preuve. Ce démontrable tient à la cause insue du désir de la garde-malade, c’est-à-dire à son fantasme. Prise dans le sadisme de la dame, elle dit dans son rêve comme Freud le voit, voilà mon affaire à moi, je vais vous la montrer. Freud interprète : son affaire c’est d’avoir un enfant et de lancer défi à ce qui y fait obstacle. Et il s’arrête à son tour interdit. C’est qu’il interprète comme la dame, à partir de ce qui fait pour chacun fenêtre sur le réel, cadrage particulier où tout un chacun s’exerce à l’art de la démonstration de son propre aveu. L’aveu de la garde-malade est l’aveu d’un aveu dont elle n’est pas déprise, la dame non plus n’est pas déprise, Freud reste interdit ! On peut étendre ce qui vaut pour ce rêve à la passe comme telle. Il s’agit de la transmission non plus d’un aveu, mais de l’abandon du démontrable, ceci ne peut être entendu sous cette forme, que par un passeur en position d’y entendre ce terrible abandon !
« D’où pourrait donc être attendu un témoignage juste sur celui qui franchit cette passe, sinon d’un autre qui, comme lui, l’est encore, cette passe, à savoir en qui est présent à ce moment le désêtre où son analyste garde l’essence de ce qui lui est passé comme un deuil, sachant par là comme tout autre en fonction de didacticien, qu’à eux aussi ça leur passera. Qui pourrait mieux que ce psychanalysant dans la passe, y authentifier ce qu’elle a de position dépressive? Nous n’éventons là rien dont on se puisse donner les airs, si on n’y est pas. » (Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967… », p.26) Bruxelles, le 6 juin 1982
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