AIRES DE FOLIE Marek Edelman, un des rares survivants des emmurés du ghetto de Varsovie insurgé, dit ceci à Hanna Krall : « Médecin, je pouvais décider, ne serait-ce que d'une seule vie, alors je suis devenu médecin."À la m'a inscrit en médecine et j'ai commencé à y aller, mais ça ne m'intéressait pas du tout et en rentrant, je me mettais au lit. Tous les autres travaillaient assidûment. Comme je me couchais la tête tournée vers le mur, ils se sont mis à y dessiner pour que je retienne au moins quelque chose. Ils dessinaient un estomac ou un coeur, très soigneusement du reste, avec les ventricules, les oreillettes, l'aorte, etc. Ça a duré deux ans... »[ii] Marek Edelman est devenu médecin, chirurgien, le premier à avoir introduit le pontage coronarien en Pologne. Qu'est-ce que la psychanalyse, qu'est-ce qu'un psychanalyste peuvent bien venir trouver dans l'enceinte d'un hôpital psychiatrique lui même pris dans le champ d'un hôpital général ? Surtout quand elle/il s'inscrivent dans cette dimension de la Laïenanalyse posée par Freud, c'est-à-dire de la psychanalyse en tant que déliée du champ médical ? Un intérêt pour la maladie mentale, une passion pour les troubles de la personnalité, une attraction particulière à l'endroit du différent, de l'autre aisément désigné dans le négatif, ou bien enfin, comme pour résumer, une certaine forme de jouissance de l'horreur ? À l'entrée de l'adolescence, il a eu à appeler le médecin de famille. Là, cette fois-là, ça l'avait débordé après avoir emporté tout le champ familial dans la peur et le désarroi : plus rien ne semblait retenir le père. Il a appelé le médecin, le médecin de famille, celui qu'il connaissait et qui les connaissait : il l'a donc appelé pour que son père soit retenu, pour que de son père soit tenu, pour une tenue du Père. Le médecin est venu et il s'est adressé à cet encore enfant, qui l'avait appelé et auquel il avait accepté de répondre : il s'est adressé à lui en lui offrant à choisir, pour le père, entre une hospitalisation et quelque médication à administrer pendant quelques jours, le temps que crise se passe, le temps d'avant l'autre crise, celle, en toute certitude, à venir. L'enfant a fait ce choix de supporter, de porter ceci que du père se tiendrait par-delà la folie et ses lieux - l'hôpital, c'était le trou, la folie sans fin - quoi qu'il puisse en être des moments de crise, et qu'il ne serait pas seulement dans l'attente de la crise à venir, la prochaine, mais qu'il serait présent dans une durée continue du père, quoi qu'il en soit des moments impossibles. Il a fait le pari du père et, pour lui, il le pensait ainsi, cela passait par le refus de l'hospitalisation. Il ne supportait pas que du père, ça se volatilise quelque part, là-bas, entre des murs. Encore une fois : trop de pères, trop du père, d'un trop qui a visé à altérer la fonction même, venaient d'être volatilisés peu avant, entre les murs des camps de concentration, d'extermination - pour lui, ce qu'il en était du père, se référait à ce qui s'était aussi volatilisé là -, il le savait, celui qui déjà n'était plus enfant. À ce moment-là, à cet instant de la consultation du médecin, refus ou acceptation, cela ne dépendait plus que de lui; et c'était là le moment où le médecin, le médical, tout ce qui avait été convoqué, tout cela se retirait, vain, devant un père, un fils. Ça ne dépendait plus que de lui, d'un mot de lui - le déjà-plus-enfant -, que du père soit, ou pas, encore, ou plus, désigné et basculé tout en lieu de folie: un choix, entre les deux, d'un côté et de l'autre… Alors, dans l'impossible, il a choisi. Parce que, c'est ce qu'il a dû, sans doute, penser, si la folie n'exclut certainement pas qu'il y ait du père, l'hôpital des enfermés exile le père de la folie[iii], ou de l'univers des folies : c'est ce qu'il pensait. Le pari a donc été celui de la dimension du père à l'envers (de) la folie, pari appelé juste en ce moment où il allait pour se dissoudre en folie, et se volatiliser là, dans cette folie qui, en plus de l'enfermer dans des murs, l'enfermait dans le délire. D'un seul mot : Gestapo ne cessait de hurler le père à l'entour, à la cantonade, en réponse à toute demande venant d'un monde qu'il n'avait pu se fabriquer : mais demande désignable, demande-signe repérée sur la trace d'autre demandes, ennemies celles-là. Au bout des choses, toute demande était l'ennemi en propre. Et, sans le savoir en toute clarté, l'enfant - mais y avait-il, à ce moment-là, des enfants ? et ce n'est que bien plus tard qu'il a pu le formuler - de prendre acte de ce mot, de le prendre dans ce que ce mot venait enfermer, emmurer comme question mise au silence et en même temps insistante en ce qu'elle bruitait : Gestapo, mais Qestapo ? question à laquelle le mot venait définitivement, au titre du Réel, répondre, rien. Le mot du délire, c'est ça : non seulement un mot qui vient en réponse à une question qu'il porte sans la formuler comme telle, mais aussi et en même temps, un mot qui, dès lors où il est entendu pour la question qu'il porte et la réponse qu'il énonce, produit cette circulation interminable de la question en la réponse et de la réponse en la question pour reproduire la question pour la réponse etc… Et, dans la crise, puisque rien, puisque ta peau n'est que ce rien, c'est-à-dire celle portée par les mots Qestapo du nom de Gestapo, ce rien donc offert à la jouissance de l'Autre selon alors les aléas des perversions du moment, puisque tout cela, alors, quand les mots sont avalés de ça, et ne circulent que dans ce mouvement de balancier, ne reste que la violence du corps à corps : comme s'il n'y avait plus que ces corps de rien, n'existant que de se balancer, de se heurter, de se confronter dans l'énigmatique de leur vaine consistance. Les corps, ça se balance, et pas seulement dans les prières - génuflexions ou mouvements syncopés - les corps ça se balancent aussi dans l'espace des silences muets, quand les mots mêmes, ceux qui ne cessent de circuler, se mutisent dans l'impossible délire, ça se balance jusqu'à heurter ces simulacres de consistance - les murs, le sol, les autres etc…- qui font autant de minimum de vie dans la réitération des coups et des heurts, dans le recommencement des blessures insensibles[iv]. Sans vraiment le savoir, dans le savoir inconscient, l'enfant a choisi d'ouvrir, de s'ouvrir à la réponse délirante ailleurs, ailleurs aussi que dans les déchaînements du corps à corps et les balancements pendulaires des mots, d'ouvrir au travers cette ultime manière d'être, quand son corps il l'utilisait et le rendait à l'existence comme contention et tenue du père: l'enfant a choisi d'ouvrir une interrogation tierce, sous-jacente à cette question qui ne pouvait avoir vraiment lieu. L'interrogation : en contact à la circulation interminable et délirante des questions et des réponses, à la circulation du nom Gestapo à l'interpellation Qestapo ?, l'interrogation soutenue a été celle-ci : quelle est cette folie, cette folie filiale, dont s'indexe la, dont s'indexerait toute dimension de la paternité ? Quelle est cette dimension de paternité qui appelle à sa rescousse la folie de l'Autre ? C'est donc à faire effort Filial au Père que, pendant longtemps, il va s'user à suivre les méandres de la folie: se soutenir pour entendre cette tension là… Vous savez que la dimension de la psychanalyse est celle qui prend en compte ce qui se fait, ce qui se dit, comme un jeu de réponses à des questions mal ou pas du tout explicitées : il s'agit moins de trouver des réponses aux questions, que les questions organisatrices de tel ou tel mode de réponse. En se posant comme fils de et dans cette folie de paternité, il a choisi d'aller à rebroussement du mot du délire, il a choisi de porter la question emmurée, la question mise au silence mais qui, du fond des murs du silence, ne cessait de l'appeler. Il a dit non à l'hôpital parce que, mais ce n'est là encore que plus tard qu'il a pu le mettre en parole, l'hôpital c'était la fabrique de l'écho infiniment raisonnant du mot du délire, sa justification et son authentification. Accepter l'hôpital, c'était livrer la fonction Père à la Gestapo de délire, c'était follement livrer le père à la Gestapo, à sa raison résonnante interminable. C'était dénoncer le Père au délire et interdire par là même toute possibilité pour le nom de Père : ce serait allé, c'est certain, jusqu'à installer l'Autre en son infinie raison comme Celui qui jette, ici et là, les corps de rien dans la fosse commune d'un même délire. D'autant plus que, en un autre sens, cette Gestapo de délire avait vraiment été très réelle pour son père et les siens, sans espoir, naturellement, d'en revenir. L'enfant ne pouvait même imaginer un instant, ne pouvait penser supposer avoir affaire à cette place d'où l'on se trouve à désigner, dénoncer qui ne revient pas de l'Autre. D'autant plus que le renouvellement, la relance imparable du délire étaient, pour une part, soutenus par ceci que, au cours de ses nombreuses hospitalisations, le fils avait eu à respirer des gaz pour être endormi, anesthésié… le fils s'était trouvé représenter, pour le délire, le gazé vivant. . Du père là, de ce père-là, il faut dire la jouissance de l'horreur : cette jouissance qui, au corps anesthésié du fils, mettait son corps en bataille. Les plaintes de réveil, cette dimension de vivant d'après les gaz d'anesthésie, ces douleurs de l'enfant obligeaient le père au coup, comme si, en même temps, l'enfant posé ailleurs qu'au délire en dénonçait, à ce moment très précis, le caractère endormissant. Le délire berce et endort, et fait simulacre de dire de sommeil, de rêve parlé. Alors, saura-t-on jamais vraiment l'effet de ce coup au délire que peut représenter cette forme particulière de sortie qu'est le réveil ? La lettre, celle qui voisine en basculement de schlafen en schlagen dans ce Yiddish en peau d'allemand qu'était la dépouille de langue dans le sortir des camps, la lettre qui bascule, s'effondre, vient même à mourir en son plus proche, en son voisin. La lettre qui, de schlafen (dormir), fait rebroussement avec schlagen (battre) : le moment même du réveil au monde est le même qui bascule dans l'acte de mourir du monde, dans l'ordre alphabétique de l'humain: celui du délire. Les hospitalisations de l'enfant, pour ses nombreuses interventions chirurgicales, dans ses nombreux sommeils, cela faisait du corps du fils, pour le Père, l'objet de jouissances de verbes insupportables et intolérables : le verbe s'écoulait et ce flux faisait autorisation pour le corps d'être viande triturable à la merci des infinies jouissances. En tous les cas, pour le Père, dans le retour de sommeil du fils, celui-ci ne pouvait être et n'était que ce corps-objet des hors-limites de la jouissances de l'Autre. Pour le Père, le corps du fils, c'était la preuve même, la preuve par le Réel de la douleur, la preuve en tant que telle de la non castration dans le mutilatoire. C'est cela qui animait cette folie d'un tout possible à la jouissance, et d'une toute jouissance possible au Réel. Ce qui œuvrait la jouissance: le traitement des corps par la Gestapo en temps qu'il lui suffisait de porter le nom Gestapo tournant avec ce qui lui fait corps, la question Qestapo : et le corps de jouissance ne pouvait être qu'un corps torturé. L'opératoire, c'était la jouissance de torture dans et avec le coup du réveil ; le lien inextricable de la jouissance infinie et de la douleur, par un corps-viande mis en silence dans le flux des mots, ce lien était un nœud où s'articulait et dont s'émanait la persécution délirante. Le corps du fils était la matière délirante du Père. Au cœur : un énoncé en consistance circulaire, sans trou et sans faille - et non pas le glissement de l'ambigü -, une voix, la Voix de l'Autre, comme son identité même… Gestapo ou/en Qestapo… Alors voilà : il a appelé le médecin, il a porté une question, il a porté sa question à un médecin: une question, faites que ça s'arrête - on peut dire ça, tout simplement - : sa question, comment faire avec çà pour que du Père, du Fils, il y ait. Il est tellement difficile d'être l'enfant d'un tel tournis de signifiant… Il a dit oui au médecin, mais non a la solution offerte. Il a agréé à un mot, à un nom. Cet agrément à un nom a dessiné une limite au-delà et en-deçà de laquelle il y avait une place pour loger ce pour quoi l'appel avait été. Cette limite, c'est ce que nous lisons dans le point de rebroussement.[v] Françoise Davoine se saisit de ce "concept" à propos du gobe-mouche hospitalier : "…je m'avisai, dans un second temps, de regarder ce gobe-mouche sous un autre angle, comme si j'étais emprisonnée à l'extérieur de cette paroi de verre qui matérialise justement un problème d'intérieur et d'extérieur, puisque l'extérieur s'y rebrousse à l'intérieur. Pour comprendre cela, il a fallu que je me fasse soigner…"[vi] Il semble bien que F. Davoine utilise le concept de rebroussement dans ce sens un peu trivial d'une continuité représentative, d'image, entre un dedans et un dehors imaginés, ce qui autorise de parler d'emprisonnement à l'extérieur. En fait, dans un gobe-mouche, il y a juste un tube comme invaginé par sa surface externe qui oblige, pour en sortir, au retour en arrière par la même voie. C'est en cela qu'il est nommé comme ce qui gobe : ce qui rend un tel retour complexe (une mouche ne revole pas sur ses coups d'ailes !). Un gobe mouche, c'est un entonnoir dont le bord du grand cône vient envelopper et se retourner sur l'extrémité de sa queue tubulaire. On est là exactement dans la mise en scène de la théorie de la capture, de la tension, de la prise par un attracteur telle que la propose René Thom, dans la théorie des Catastrophes. C'est une dimension prédatrice de ce rapport à la folie : elle attire, elle prend, c'est un gobe-mots et un gobe-corps. Avec le gobe-mouche, il y a, quoi qu'on en veuille, un dedans et un dehors qui, même s'ils apparaissent en continuité, sont définis différemment, la différence s'exprimant par les termes de capture etc… Il semble bien que J. Lacan n'utilise pas vraiment ce terme de rebroussement dans ce sens trivial. Il le rend à un champ mathématique. Il dit les choses ainsi : je me réfère exclusivement à la transcription (interdite ? : de quelle valeur ?) de son entretien de Sainte-Anne du 6 Janvier 1972 (pp. 48 à 51 de certains tirages, notamment). Et tout d'abord ceci par quoi je souhaite introduire ce que nous propose Lacan : "Parce qu'il est évident que, si je parle aux murs, je m'y suis mis tard, à savoir que, avant d'entendre ce qu'ils me renvoient, c'est-à-dire ma propre voix prêchant dans le désert (…) bien avant çà, j'ai entendu des choses tout à fait décisives, enfin, qui l'ont été pour moi. Mais çà, c'est bien mon affaire personnelle. Je veux dire que les gens qui sont ici au titre d'être entre les murs, sont tout à fait capables de se faire entendre, à condition qu'on ait les esgourdes appropriées! Pour tout dire et lui rendre hommage de quelque chose où elle n'est en somme personnellement pour rien, c'est, comme chacun sait, autour de cette malade que j'ai épinglée du nom d'Aimée -qui n'était pas le sien bien sûr- que j'ai été aspiré vers la psychanalyse."[vii] Il introduit donc le point de rebroussement dans une lecture qu'il propose du poème de Tudal, poème qu'il avait mis en exergue de la dernière partie de son intervention de 1953 à Rome.[viii] Entre l'homme et la femme, Entre l'homme et l'amour Il y a l'amour, Il y a la femme. Entre l'homme et l'amour, Entre l'homme et la femme Il y a un monde, Il y a un monde. Entre l'homme et le monde, Entre l'homme et le monde Il y a un mur. Il y a un mur. 1853 (Le Savoir du Psychanalyste 1972) (Fonction et champ de la parole…) A gauche, sur la colonne de gauche, on a affaire au poème de Tudal (Paris en l'an 2000) dans cette version du savoir du psychanalyste : à droite, dans la colonne de droite, on a affaire à ce même poème dans la version mise en exergue au 3e chapitre de "Fonction et Champ de la parole et du langage en psychanalyse" pour le chapitre dont l'intitulé commence ainsi …Les résonances de l'interprétation… Je retiens ce terme de résonance, puisque c'est avec lui que ce poème revient chez Lacan, presque vingt ans plus tard, dans le cadre des Entretiens de Sainte-Anne. On voit bien que les deux transcriptions de ce poème de Tudal ne sont pas les mêmes, ce qui donne toute une inflexion particulière - est-ce la même que celle dont parle Lacan quand, à l'entrée de cet entretien du 6 Janvier 1972, il dit ceci : "Alors en somme, il s'agit de savoir ce que je fais ici. Il est certain que ce n'est pas tout à fait ce que j'attendais. Je suis infléchi par cette affluence…"[ix] Une inflexion particulière, de ce particulier qui n'est pas du personnel, toute particulière à ce qu'il en est du mur. Parce que si, en 1953, le mur est celui du langage - "…ce que nous appelons le mur du langage…"[x] - il est certain que, là, à Sainte-Anne, le mur n'est plus qu'un "endroit" comme il le dit : pas un endroit auquel s'opposerait un envers, ou pas un endroit qui serait comme en continuité d'un envers dans la surface moebienne. Mais là, le mur, c'est un endroit - un morceau de surface bordé représentant, par exemple, la bouteille de klein à laquelle, explicitement, Lacan se réfère précisément - comme d'une limite : des mots d'amour qui viennent résonner en mots d'amur pour finir se reposer en muroirs faute d'être entendus? : de la voix qui vient résonnante des voix internées : des corps enfin quand seule, alors, ce que Lacan nomme, à plusieurs reprises dans ce texte, la volatilisation, peut permettre à ce monde d'exister. La volatilisation, c'est-à-dire quelque chose de différent, d'autre que la forclusion[xi] : "Entre l'homme et l'amour, il y a un monde, c'est-à-dire que ça recouvre le territoire d'abord occupé par la femme, là où j'ai écrit F dans la partie de droite. C'est pour ça que celui que nous appellerons l'homme, dans l'occasion, il s'imagine qu'il “connaît“ le monde, c'est à dire tout simplement cette sorte de rêve de savoir qui vient à la place de ce qui était, là dans ce petit schéma, marquée de l'F de la femme. Ce qui nous permet de voir topologiquement tout à fait ce dont il s'agit, c'est que, ensuite, quand on nous dit: “entre l'homme et le monde…“ ce monde substitué à la volatilisation du partenaire sexuel (…) ben, “il y a un mur“ c'est-à-dire l'endroit où se produit ce rebroussement, ce rebroussement que j'ai introduit un jour comme signifiant la jonction entre vérité et savoir." Un F de femme disparaît, se volatilise : pas un F de n'importe quelle femme : une F de femme, si l'on peut dire ainsi, retranscrit par Lacan, déplacé, placé autrement, un F de femme qui, en cette nouvelle place, induit cette dimension par laquelle l'amour fait ce flux "Ça communique à plein tube. Là, vous voyez, ça circule! C'est mis en commun, le flux, l'influx…"[xii] Là, somme toute, entre l'homme et la femme, de la manière dont ça circule, dont, avec le flux, ça ne cesse de circuler, on peut soutenir qu'avec cette mise en perspective de la folie qui est toujours présente, y'a du rapport, et l'amour dont il est question, c'est un amour de rapport: c'est un amour… à la Folie (Faut-il lire à quel point, dans cette organisation, le F de femme porte à l'F de folie ?…). La volatilisation, c'est une autre manière d'introduire la désolidarisation : entre l'homme et la femme, la volatilisation : entre l'homme et le monde, la désolidarisation : "Alors l'amour, il est là, le petit rond qui est là partout, à part qu'il y a un endroit où ça va se rebrousser, et vachement." Le coup de vache, c'est le coup de folie au terme de ce processus. Le coup de folie, c'est le coup du mur en ceci où il renvoie à la folie et à un autre dessin possible pour ce qui, dans et de la folie, s'énonce comme vérité. Il y a un endroit où il est question de folie et, en même temps d'un ailleurs quant à cette folie. Cet endroit, cette limite, sont celles de la diffraction des voix, du mourant des mots, et de la volatilisation d'une manière des corps. De cet endroit, je vais essayer de donner la représentation[xiii] : de dessiner quelques enjeux de cette fiction que je viens d'évoquer. Au départ, qu'y a-t-il : une circulation interminable, incessante, de quelque chose qui se déploie comme un signifiant qui se double sur ce mode où, dès lors où il se joue à une lettre près, il se débâtit, se spatialise autrement mais de manière telle qu'il renvoie nécessairement à sa première mise en forme, ligne qui avance dans la réitération de son appel et de son rappel, Gestapo en Qestapo en Gestapo en Qestapo, et La filiation est prise là-dedans. Je pourrais tout à fait soutenir - par exemple au travers d'un phénomène de déportation et de volatilisation de langue : le yiddish a été déporté en allemand et évaporé, volatilisé au titre de sa fonction nominante - soutenir sans qu'apparaisse quelqu'injure, qu'il y a -c'est comme çà, toute une génération (juive ou pas!) - toute une filiation d'un tel positionnement d'énonciation : une espèce d'immense lebensborn qui a fabriqué de l'enfant juif de çà. Alors voilà : Q / G, cela s'inscrit comme le dessin de cette courbe : Alors: Q / G, ça fait vraiment tout un monde pour le Père. C'est un monde par rapport à quoi le Fils va poser une question, va se poser une question, va même se poser en tant que question. C'est tout un monde avec cette articulation au Fils, au Fils de çà, articulation qui se marque ainsi : Q / G Qestapo/Gestapo G / F Schlagen/Schlafen. Le sommeil, ce n'est pas la mort, bien qu'il soit dans cette frange où, d'une part, d'être attesté pour le réveil, de l'Autre, (On se réveille aussi bien de l'endormissement que de l'anesthésie), il est aussi, en même temps livré à cet Autre déployé dans ces formes délirantes. Il y a là le dessin d'une désolidarisation que j'écrirais ainsi : Q / G G / Q F.........Le souffle C'est là ce qui me semble pouvoir être nommé comme point de rebroussement d'une orientation en une autre : disons quand la folie de père discontinue en raison de fils sans rompre la filiation, et sans mettre en jeu, dans des actes très réels, la vie même : ou quand l'inadéquat, le juste à côté, le manquement, font du retournement (J.-L. Godard[xiv] oppose au concept de bifurcation que lui propose R. Thom, le retournement tel que B. Brecht le présente: n.b. il n'est pas vraiment sûr que cet ensemble de concepts, rebroussement, bifurcation, retournement, relèvent du même champ, pour ce qui concerne les mathématiques : pour nous, nous nous autorisons à les rapporter l'un à l'autre !) une subjectivation en forme d'obstacle, d'échec à la résonance délirante. Manière de guérison ? Le père a vécu sa vie, dans le social, hors le médical : le fils a suivi sa vie pleine d'embûches. Mais d'avoir, disons su et pu, à un moment, nommer la folie, et de l'avoir localisée dans certaines manières de mots, en lui posant comme point limite le mot-mur-hôpital, il s'est aussi donné la possibilité d'une autre manière de folie dans laquelle il ne ferait pas vraiment naufrage. Bien plus tard, il a fait l'expérience de ce passage périlleux. Et les guérisons, c'est ce qui tombait, sans que même quiconque s'en aperçoive, dans un insu, à chaque moment tourmenté du passage: les guérisons de surcroît… parce que ce n'était pas, ce n'était plus la question. Voilà donc: il y a longtemps, un enfant, à l'orée d'une vie d'homme, a convoqué le médical pour l'aider à soutenir et à se soutenir dans le plus ténu, le fétu de symbolique où, quoi qu'il en soit par ailleurs, dans cet ailleurs de Réel, s'ancrait cette dimension de la fonction paternelle, ancrage par lequel cet encore enfant s'est lui-même écarté de ce qui tendait à le prendre dans l'orbe d'une folie résonnante. La folie ne génère pas la folie : elle ouvre la dimension du symbolique comme tel et l'insupportable de Réel charrié avec lui. La folie fait cause de la fonction Symbolique. Un enfant, un père : une crise encore, un médecin: l'hôpital, des médicaments (à) la maison. Qu'est-ce que dans le rapport à un état de folie, pour un enfant, pour un humain, pour un parlêtre, qu'est-ce qu'alors cet appel au médical ? en désespoir de cause comme on dit, (Ou dans le désespoir de la cause), à savoir dans ce rapport à l'insoutenable et l'inaudible d'une parole : est-ce vraiment pour l'aider? l'aider, l'enfant ? l'aider, le père ? l'aider, l'enchaînement de la filiation ? l'aider, ce dire qui ne cesse de se dire et d'être récusé ? L'aider, la vie qui avait été interrompue comme telle peu avant, ici et là, au hasard des enfermements ? Appeler le médical, dans un cadre comme celui-là, c'est appeler pour faire venir l'inadéquat, le raté, le manquement - c'est appeler le médecin et non pas la solution médicale - dont l'humain se prend pour la vie et la mort et où il se déprend de la barbarie du spéculaire et de son horreur. Laissons, pour l'instant, ce jeune homme à ce point si déterminant pour toute sa vie. Laissons, pour le moment, cette inflexion[xv], ce rebroussement, qu'est à un moment d'un trajet de vie, l'appel au médecin comme appel réussi au manquement ou au ratage, et tournons-nous, dans l’enceinte hospitalière, du côté de Vera… Paris Saorge 1993 [i] Ce travail a fait l'objet d'un exposé dans le cadre du séminaire de F. Baudry, au Collège de Philosophie, au mois de Mai 1993. Sa dernière partie, Vera, a, de plus, été présentée lors d'un Colloque organisé par le Service de Psychiatrie de l'Hôpital de Coulommiers, le 11 Juin 1993. Je remercie Mme le Dr. S. Peron de m'y accueillir. [ii] Marek Edelman, Hanna Krall: Mémoires du ghetto de Varsovie, Préface de Pierre Vidal-Naquet, ed Scribe Paris 1983, pp 123-124. (je souligne) [iii] C'est là une différence essentielle entre l'enfermement en hôpital et l'enfermement en prison. Lors d'une émission de télévision sur les prisons, un homme disait à l'interviewer combien il pensait important, nonobstant sa condition de prisonnier, de soutenir, de sa place en cellule, la fonction de père pour ses enfants. C'est à cet endroit que l'emmurement hospitalier opère une coupure. L'hospitalisation pour folie interdit une telle position. La question vaut d'être posée si l'hospitalisation de la folie n'est pas, tout d'abord, la mise en acte d'une mise à l'écart de la fonction paternelle comme telle, une manière, dans le réel, de faire forclusion du Nom du Père au lieu de l'Autre. [iv] Les corps, ça se balance aussi dans les fosses communes emplies de chaux vive, et ce geste s'avère être celui de la tentative d'effacement; ça se balance pour que n'en reste nulle trace. [v] Cf J. Lacan, Le Savoir du Psychanalyste: Entretiens de Sainte-Anne, 1971-1972. Spécialement l'entretien du 6 Janvier 1972. Texte encore non établi, inédit. [vi] Cf F. Davoine, La Folie Wittgenstein, chap. Le Gobe-Mouche, pp 113-114, E.P.E.L. ed, Paris 1992. [vii] J. Lacan, Entretiens, op.cit. p 44. Je souligne. [viii] Cf. J. Lacan, « Fonction et Champ de la Parole et du Langage en Psychanalyse ». In La Psychanalyse, n°1, pp 81-166, p 134, PUF éd, Paris 1956. Cf. Écrits, pp 237-322, p 289, ed Seuil Paris 1966. [ix] J. Lacan, Entretiens… op.cit. p 39, je soul. [x] Cf. J. Lacan, « Fonction et Champ… », op.cit. Écrits, p 291. Cf. aussi là le chapitre précédant juste celui sur le Gobe-Mouche, intitulé "Le Cosmos devient Incertain", la seconde photo du livre avec cette légende, "Quand on se cogne aux limites du langage, la reliure-brique du livre. [xi] A la forclusion, J. Lacan fait référence dans cet Entretien… à la page 46. [xii] Cf. J. Lacan, Entretiens, op.cit. p 48. [xiii] Je dis bien la représentation, le dessin, comme un tracé. C'est bien d'une carte, en ce sens géographique, des voix dont il est question [xiv] J.L. Godard, in René, Film TV passé sur nos écrans au cours de l'été 1976, avec son 'autre', Nous Trois. René est un film-entretien avec René Thom, mathématicien, inventeur de la Théorie des Catastrophes. [xv] Littré dit ceci: "Terme de mathématiques et d'optique. Déviation d'une ligne, d'un rayon lumineux. Voilà une inflexion de la lumière qui dépend évidemment de l'attraction; c'est un nouvel univers qui se présente aux yeux de ceux qui veulent voir. Point d'inflexion, point d'une courbe où la courbure prend une direction différente. J'assimile ici le point d'inflexion et le point de rebroussement.
|