L’autiste et la voix
Serge Hajlblum

« Quand une femme, à la voix de soprano, émet ses notes vibrantes et mélodieuses, à l’audition de cette harmonie humaine, mes yeux se remplissent d’une flamme latente et lancent des étincelles douloureuses, tandis que dans mes oreilles semble retentir le tocsin de la canonnade. D’où peut venir cette répugnance profonde pour tout ce qui tient à l’homme ? »[i]

Il y a eu cette femme, Vera l’emmurée[ii]. Il y a eu la petite Sophie accompagnée de ses parents, porteuse de tout un malheur génétique et dont le père m’a dit, dans le vif de son souhait, qu’il l’amenait en consultation parce qu’on ne lui parlait pas: il voulait, semble-t-il, aussi me dire qu’elle ne parlait pas[iii]. Il y a eu cet enfant, Adrien, qui était au monde retiré du parler courant, retiré tout court, et pour qui les autres semblaient n’être pas vraiment: transparents et non consistants. Adrien avait été désigné, il m’avait été présenté accompagné, de ce mot : autiste.

Il importe de souligner que certains parlêtres ont des mots-signes comme compagnons; ces mots sont leur lieu dans le système de l’humain. Non seulement ils désignent, définissent, dessinent leur place aux choses et aux êtres, mais ils forcent à l’occuper. Quelques fois, tenter de sortir de cette place obligée, ébrécher la contrainte portée par ces mots-là, peut, et c’est bien ce qui s’est produit avec Vera, n’ouvrir qu’à la mort. Quelques fois, la sortie, c’est ainsi que Sophie me l’a signifiée, passe par l’éclat d’un sourire. Quelques fois aussi, ce sont des mots-traits, des traits d’humour qui surgissent et viennent témoigner, enfin, d’un rapport du sujet à l’Autre.

Après des années, c’est de cette manière qu’un jour Adrien m’a (a)ccueilli : il s’est assis à ma place coutumière avec lui, et m’a dit - ce furent ses premiers mots avec moi - « Je suis coquin, hein ! ». C’est par une telle ruse transférentielle, ce retournement[iv] qui l’installe réellement en cette place où il se réfère au trou dans l’Autre, qu’il se pose et se compte sur le fond de ce trait où l’assonance témoigne de l’ouverture de l’Un - hein, y’a d’l’un !, fait-il entendre, entre autre. Cet Un-là, c’est aussi ce à quoi Platon nous invite, est une affaire de retournement dans la violence, meurtrière peut-être, de l’Autre. « Quand l’un de ces hommes aura été délivré et forcé soudainement à se lever, à tourner le cou […] il souffrira » et « […]si on le forçait en outre à porter ses regards du côté de la lumière elle-même, ne penses-tu pas qu’il souffrirait des yeux… »[v]. C’est dans ce lien de fond de ce qu’on appelle autisme avec ce qui est au cœur du devenir humaine de l’humanité et que Platon va rechercher à la pointe extrême de l’Homme de Caverne, là où, à sa suite, J. Lacan va tenter d’exposer ce qu’il en est alors d’une méprise - si Platon avait été structuraliste ! soupire-t-il - en soulignant à quel point la dimension de la caverne est celle de l’humain dans sa voix comme sonore, phônè, c’est dans ce lien de fond que ledit autiste vient se loger et insister dans sa interrogation. Ainsi, qu’on ne s’y méprenne pas : cette générosité dont l’autiste ou le marionnettiste témoignent à l’endroit du psychanalyste, ils la mettent en jeu au risque de la vie.

Dans sa conférence à Genève sur le symptôme, Lacan nous dit ceci :

« …Spitz. Lisez son De la naissance à la parole pour tacher de voir enfin comment s’éveille la relation à l’aboiement. Il y a un abîme entre cette relation à l’aboiement et le fait qu’à la fin, l’être humilié, l’être humus, l’être humain, l’être comme vous voudrez l’appeler - il s’agit de vous, de vous et de moi - que l’être humain arrive à pouvoir dire quelque chose.”[vi]

L’abîme quant à l’humain, c’est donc Adrien qui, du lointain de sa tenue dite autiste, m’a, nous a témoigné à beaucoup de la consultation, qu’il y avait des points d’appui, des leviers pour donner cette impulsion à le franchir.

Avec Adrien, il y avait les bruits : pas les bruits de celui dont on dit qu’il fait du bruit, qu’il est bruyant dans le cadre d’un monde sonore tout à fait normé, formé de sons discrets : pas de ces bruits de rencontres avec les choses, les gens, pas non plus de ces bruits qui font non en assourdissant les paroles échangées et insupportées de tiers[vii]. Adrien n’était pas bruyant comme çà, du moins jamais je ne l’ai rencontré ainsi. Mais si, au-delà de ce qu’on en pouvait décrire, il (m’)était possible de dire de lui quelque chose comme en propre, c’était bien ça : avec Adrien, il y avait ceci que j’insiste à nommer par ces mots, des bruits. Au point que je ne pouvais que me demander de quel univers de dits, de voix, de sonorités, il s’était à ce point séparé que s’était fabriqué un trou parfaitement abyssal, le coupant de tout l’univers sonore usuel, discret. Ce n’était pas étrange, pas non plus inquiétant : rien de cette proximité en tromperie qui éveille et appelle l’angoisse au cœur de l’ordinaire, du familier. Non, ces bruits ne pouvaient « s’ordinariser ». Je ne pouvais prendre habitude avec eux, en faire les coutumiers de nos rencontres : ils stupéfiaient toutes les manières de dire non. Au point qu’il m’était difficile, quelques fois, de continuer de fréquenter les bruits de la vie sans une sourde interrogation.

Insupportable, ce bruitement. C’est aussi dire que la condition même de l’analyse était là présente : il y avait à faire avec l’insupportable, avec ce fait qu’il était ouvert, à cru : la psychanalyse et le psychanalyste ont, dans le fond, affaire à l’insupportable, l’intolérable comme tel. L’analyse avec ceci aussi : qu’il soit possible qu’un trou se fabrique « au corps » du vocal, du dire dans sa forme même de phonétisation et qui, en mettant hors jeu tout sens, mette hors jeu toute phônè même.

Il m’importe tout de suite de souligner ceci : naturellement, avec Lacan, dans une manière de lettre, il n’y aurait nul besoin de phônè, de sonore, pour poser la voix comme objet, au même titre après tout que l’objet oral, anal et scopique. Après tout, les voix de l’hallucination verbale ne sont audibles de nul autre que de celui qui en est la proie. A ce titre, cette question quelques fois posée par des personnes hallucinées : « Entendez-vous mes voix ? », ou bien, sous une forme plus engagée dans le social « Entendez-vous dans nos campagnes ? », interroge très directement cette dimension de la voix : qu’est-ce donc que cette voix, que la voix, si nul autre, in fine, n’en entend ? Et qu’est-ce qu’entendre si je suis le seul à l’entendre, à l’exclusion de tout autre ? Mais il y a aussi ceci : c’est qu’à un moment ou à un autre, dans le rapport à un acte, à un souhait, ou bien dans un désordre, de ces voix, il vient à en être dit, même si l’on cherche à toute force à les garder pour soi. On ne dit pas aisément qu’on entend des voix : mais, quasi immanquablement, dans une circonstance ou une autre, il en est fait part, partage - « Entendez-vous dans nos… » et les autres de se camper dans les voix hallucinées, et d’entendre mugir, rugir, ou, comme le signale Lacan dans un autre contexte, aboyer[viii]. Alors, il y a, à un moment ou un autre, du sonore, de la phônè. La voix ne va pas sans quelque phônè : et c’est ainsi que, d’une manière ou d’une autre, elle porte.

J. A. Miller, propose ceci :

« Nous n’avons pas sur l’objet vocal de développement comparable (à l’objet regard) dans l’enseignement de Lacan. Ce développement peut néanmoins être esquissé sur le modèle de l’articulation de l’œil et du regard […] Mais sur le modèle de la schize, de l’opposition, de l’antinomie entre l’œil et le regard, pourquoi ne pas introduire une schize, une antinomie entre l’oreille et la voix. »[ix]

Somme toute, la voix fonctionnerait au modèle du regard, et il serait possible de produire en parallèle de la schize de l’œil et du regard celle de l’oreille et de la voix. Ce qui ne va pas sans poser une question : qu’il n’est pas simple de faire de l’oreille cet organe de la voix avec lequel la schize se jouerait. Il y a une médiation des autres organes dits de la voix. Mais lesquels ? La question se redouble encore puisqu’on ne peut poser, de la même manière que pour la vision il y a l’œil, pour la phônè, il y aurait le seul système des cordes vocales : il y manquerait le souffle, entre autres… L’appareil respiratoire est aussi, en même temps, l’appareil phonatoire… Il n’y a pas un organe un de la phonation au même titre qu’un organe de la vision. Le système qui fait organe pour la phonation résulte déjà d’un détour où l’on doit compter la station verticale[x] par exemple, qui, par tout un jeu, rend l’occlusion glottique possible… En appeler, en ce sens à un organe quant à la voix, c’est déjà se situer à un moment d’une chaîne symbolique qui engage le corps et les organes dans leur érection même, c’est-à-dire dans leurs tenues au cœur des choses, c’est-à-dire encore dans leurs enchaînements symboliques et non dans leurs captures imaginaires. La voix n’est pas un objet comme les autres, comme le regard par exemple, et ce dernier ne peut servir de modèle pour l’élaboration de l’objet voix. Avec la voix, il n’y a pas de modèle possible.

Avec Adrien, la question qui est venue dans et par ce qui avait été nommé autisme, était celle de la voix, jusque dans ce qu’il faut bien appeler sa matière sonore[xi] : en ceci où, très spécifiquement, cette manière son de ce qui n’est pas encore voix, cette manière bruit de ce qui n’est pas encore son, déconstruit toute idée de monde[xii], aussi bien pour lui (la question est posée de ce qu’il en est d’un monde sien, d’un sonmonde comme je l’écris, quand on dit que l’autiste vit dans son monde) qu’avec lui (la position envers l’autre n’est peut-être pas de lui demander d’essayer d’aller y voir, dans le sonmonde).

« Comme le nom l’indique, les autistes s’entendent eux-mêmes. Ils entendent beaucoup de choses. Cela débouche même normalement sur l’hallucination, et l’hallucination a toujours un caractère plus ou moins vocal. Tous les autistes n’entendent pas des voix, mais ils articulent beaucoup de choses, et ce qu’ils articulent, il s’agit justement de voir d’où ils l’ont entendu. […]

Il s’agit de savoir pourquoi il y a quelque chose chez l’autiste, ou chez celui qu’on appelle schizophrène, qui se gèle, si on peut dire. Mais vous ne pouvez dire qu’il ne parle pas. Que vous ayez de la peine à entendre, à donner sa portée à ce qu’ils disent, n’empêche pas que ce sont des personnages finalement plutôt verbeux. »[xiii]

Le mot qui, très vite, s’est imposé à moi comme mot-lien, quand bien même il ne faisait que sourdre au début, c’est celui d’excrémentation. Adrien, c’est par là qu’il témoignait, par les excrémentations. Bien sûr, la bave, la morve, toutes ces déjections auxquelles il ne pouvait s’empêcher malgré tous les soins de la civilité qui lui étaient prodigués par tous ceux qui s’occupaient de lui - soins allant jusqu’à l’étrange, on peut rajouter proximité ? érotisme ? amour en tout cas, d’une institutrice à son endroit - bien sûr toutes ces déjections appelaient plutôt un recul, une répulsion dans l’approche de cette saleté difficilement recevable. Adrien appelait au dégoût. Il s’est aussi produit qu’il suscite comme une jouissance[xiv] à peine retenue !

Mais à rester pris entre répugnance et jouissance, on s’enferme dans une alternative où, au bord du dégoût, on effleure un jouir possible, et où, au bord du jouir, on frémit d’un dégoût juste ressenti. C’est à propos de Sophie qu’un collègue m’a retourné (dans un grand mouvement de générosité !), alors que je faisais part de l’intolérable : « tu verras, on s’habitue ». Cette habitude, cette manière de plaisir qu’est l’habitude, je ne l’ai pas prise : je ne me suis pas habitué aux marques visibles sur son visage… Quelque temps plus tard, analyse aidant, quand on parlait de Sophie, on disait son éclat, son charme, sa beauté même, on disait ce sourire possible…

Il est sûr que cette dimension de l’excrémentation, si elle tend à faire monde avec l’autre ainsi capturé dans ce qui du dégoût fait jouissance ou l’inverse, est à envisager autrement que sur ce registre où s’inscrivent toutes les manières de l’hygiénique en tant que critère d’admissibilité dans l’altérité, le civil social et les jouissances recevables et partageables. L’autiste n’est jamais vraiment reçu dans le social : il y affleure juste comme objet de curiosité, comme étrange aboyeur ou comme matière à jouissance quelque peu zoophile !

Ces excrémentations, si elles témoignent pour l’arrangement dans une certaine irrecevabilité sociale du corps, témoignent en même temps autrement : je soutiens pour une difficulté de fond quant à cet objet qu’est la voix, c’est-à-dire pour la spécificité et la discrétion de l’objet voix. Elles sont ce par quoi la voix tend à advenir comme objet, signifiée par un mode d’impossible. Elles sont tension de voix.

Adrien, pris en compte par et dans ses excrémentations, fait de l’objet voix la question particulière de l’autisme. Avec lui, posons que l’autisme est cette manière d’humain de faire de la voix question d’objet. L’autisme est vraiment ce par quoi l’humain est interrogé au cœur de ce qui le fait tel : la voix est au cœur de l’humain.

Il y avait donc les bruits. Pour les décrire, pour en faire part, je dirai ceci : ça ne suivait pas le trajet du souffle, mais quelque chose de caverneux produisait et se produisait dans des vibrations thoraciques et ventrales, un son d’en-deçà de la gorge même, d’en-deçà du vocalique, un son de vent engouffré et prisonnier, tourbillonnant et renvoyé de mur en mur dans une caverne paradoxale, ouverte seulement à ce qui vient d’un dehors, et non pas ouverte à ce qui fabrique un dehors ou une sortie : ici n’est accueilli que ce qui vient de dehors et non ce qui fait que du dehors peut exister. Le dehors n’est pas un lieu vers lequel il soit possible de se retourner, mais le lieu d’une perte réelle.

Imaginons ceci : un lieu, une caverne pourquoi pas, où les choses viendraient d’un autre lieu, mais où, à partir de là, se produirait l’impossible : de se retourner vers cet autre lieu d’où les choses, les images, les échos viennent (« […] ils restent à la même place, ne voient que ce qui est en avant d’eux, incapables d’autre part, en raison de la chaîne qui tient leur tête, de tourner celle-ci circulairement. »[xv] et « Quand l’un de ces hommes aura été délivré et forcé soudainement à se lever, à tourner le cou… »[xvi]).

Alors, avec et par cette clôture, se fabrique tout le monde. Le bruit, rabattu sur le regard, posé en avant d’eux puisque c’est d’ombre à ombre que circulent le parler, les mots, c’est le fil comme cicatrice et suture du monde. C’est en cela, dans cet en avant, dans ce mode de capture par le regard, que le bruit est porté à témoigner pour un Le Monde. Mais qu’il échappe à cette capture du regard, et c’est l’idée même de ce Le Monde qui se déconstruit. En cela, l’autiste est celui qui porte à l’exacerbation toute cette idée de monde un et sa déconstruction.

Ces excrémentations, ces pelures de son, ces bruits comme pelades de son, l’enveloppaient et le précipitaient en pièces et morceaux de bruits auxquels répondait une bouche aux dents grinçantes de ne savoir qu’articuler sa désarticulation dans un jeu de déboitement-frottement des machoires et de la denture. Il y avait ces bruits caverneux et éclatés de corps d’une part, et ces grincements de denture d’autre part.

Il n’y a pas de coupure franche, les bords sont incertains[xvii] dans les vibrations thoraciques et les grincement de bouche. Ici et là, dedans et dehors : ce qui sépare et inscrit la frontière, la séparation, n’est pas une ligne nette, un trait avec ses propres bords et ses limites clairement identifiables. C’est bien en quoi l’autisme appelle, comme son image inverse, la perversion qui, elle, se joue et fait jouissance de la netteté de la frontière et des possibles hésitations, naturellement jusque dans et avec ses bavures. Le psychanalyste, avec l’autisme, est appelé, par l’image, sur les frontières, est convoqué à s’y installer pour une jouissance de/dans la limite : une jouissance perverse. Supposons qu’il arrive à soutenir de ne pas répondre à cette convocation de l’autisme, à ne pas en jouir, à ne pas faire de l’autisme, avec les autistes, monde…

Alors, avec l’autisme, la ligne de séparation c’est comme avec un buvard qui boit, c’est comme avec une plume mal taillée, maladroitement utilisée sur un papier poreux, de mauvaise qualité : ça bave et ça boit. Et, pour en être quitte, on n’en finit jamais d’essayer de repérer la limite dans la bavure, et d’en être pris. Comme on est toujours capturé par tous les modes d’éclats de qui échoue à (se faire) entendre : une sauvegarde. C’est peut-être ça le transfert de l’autiste. Ou bien, c’est quand cette limite, à un moment de désarroi, se fait décision arbitraire de l’Autre. L’arbitraire ? quand l’exigence de propreté s’identifie à ce que l’autre peut supporter aussi bien pour lui que dans la représentation sociale ; la saleté, c’est cet insupportable qui fait jaser et jeter l’opprobre comme un sexuel honteux exposé, offert à tout un chacun : ou comme la tare en représentation aussi démesurée que permanente.

Les bruits sont à entendre comme cette manière boivarde d’un corps qui tend à la voix comme à son impossible discret. L’excrémentation, le bruitage sont cette boivure du corps bavard et qui appelle à la voix.

Bave, morve, sueur, merde etc… ne valent pas, au fond, en tant qu’excréments significatifs d’une jouissance anale généralisée faisant pendant à un échec de l’oral ou du génital. L’autiste n’est ni un anus, ni une bouche anale quand elle laisse couler, avec la bave, des déchets de toute sorte : il ne s’y réduit pas plus. Ce qui sort et s’exprime par tous les trous et toutes les peaux possibles du corps n’est tout d’abord perceptible que pour autant que ça passe par ce goulet d’une question quant au sonore : ça doit s’entendre. La bave qui ne cesse de couler de la bouche est strictement identique au déboîtement et grincement de la denture, qui est lui-même strictement identique à la vibration tambourine du thorax : c’est un bruitement qui ne connaît pas la coupure. Et toutes les diverses formes de saleté, d’exsudations et d’ex-pressions, sont strictement identiques aux bruits caverneux fabriqués aux surfaces (la peau, les dents et autres…) d’un corps qui ne connaît pas les trous et coupures.

La Caverne, chez Platon, c’est une question de surface, de paroi : c’est déjà ce qu’on rencontre, dans le livre VII de La République : « […] une sorte de demeure souterraine en forme de caverne, possédant, tout le long de la caverne, une entrée qui s’ouvre largement du côté du jour […] »[xviii] Lacan en fait un volume, une chambre noire quand il transforme l’ouverture sur la façade :

« Il y a même un nommé Platon qui a fait pivoter autour de là toute son idée du monde, c’est le cas de le dire, c’est lui qui a inventé la caverne. Il en a fait une chambre noire. Il y avait quelque chose qui se passait à l’extérieur, et tout ça en passant par un petit trou faisait toutes les ombres. C’est curieux, c’est là que peut-être on aurait un petit fil, un petit bout de trace, c’est manifestement une théorie qui nous fait toucher du doigt ce qu’il en est de l’objet a »[xix].

Avec Platon, il y a un registre de l’ombre qui n’est pas encore (?) celui de l’image, qui s’en différencie : avec Lacan, c’est bien de l’image, et même du schéma optique, dont il est question. À quel moment et sous quelles conditions l’ombre peut-elle devenir image si ce n’est par le détour du regard par un réfléchissement sur une surface, par exemple de l’eau qui fait comme un miroir, et qui fait simulacre de la chose en une place où elle n’est pas ?

Les prisonniers, puisque c’est ce terme qui est utilisé, ne se perçoivent et n’ont d’appréhension d’autres choses que, eux-mêmes en place d’ombres, comme ombres étales sur les parois. Tout le dispositif est installé pour que non seulement nul n’ait l’idée que l’ombre puisse l’être de quelque chose, mais aussi pour que le monde ne soit que ce système étal d’ombres qui ne se connaissent ni ne savent. De plus, il y a un ligotage tel que non seulement les prisonniers ne se voient pas entre eux, mais aussi ne se voient pas eux-mêmes : c’est donc une machinerie de l’ombre sans miroir possible.

« Peux-tu croire en effet que des hommes dans leur situation, d’abord, aient eu d’eux-mêmes et les uns des autres aucune vision, hormis celle des ombres que le feu fait se projeter sur la paroi de la caverne qui leur fait face ? - Comment en effet l’auraient-ils eue, si du moins ils ont été condamné pour la vie à avoir la tête immobile ? - Et à l’égard des objets portés le long du mur, leur cas n’est-il pas identique ? - Évidemment ! »[xx]

La machinerie platonicienne dont s’initialise l’ascension vers la vérité fonctionne comme une machine scopique où il est essentiel de poser que le sonore, que la conversation, que la voix enfin, ne sont possibles qu’à la condition d’obéir à ce même mécanisme du scopique où l’écho, porteur de voix, comme mis à plat sur la paroi, est encore un fait d’ombre, et fonctionne sur ce registre du regard :

« Et maintenant, s’ils étaient à même de converser entre eux, ne croirais-tu pas qu’en nommant ce qu’ils voient ils penseraient nommer les réalités mêmes ? - Forcément. - Et si, en outre, il y avait dans la prison un écho provenant de la paroi qui leur fait face ? Quand parlerait un de ceux qui passent le long du petit mur, croiras-tu que ces paroles, ils pourraient les juger émanant d’ailleurs que de l’ombre qui passe le long de la paroi ? »[xxi]

L’hypothèse sous-jacente à celle ouvertement dite comme fiction de l’ombre dans la caverne est donc celle-ci : que l’écho (Platon), par suite la voix et le sonore, s’accorde à l’ombre : l’écho serait l’ombre de la voix. Les choses de la voix et celles du regard sont, en ce sens, absolument étales, et les premières ne sont pas différentes en pertinence et discrétion des secondes. La conversation, dans sa dimension de portée de voix, vient en continu, heureux complément de l’être d’ombre. Obéissant au schéma scopique, la voix est, au jeu de l’ombre, comme le bouquet pris au collet du vase, comme ce qu’il attend pour le plaisir de l’Autre.

C’est ainsi qu’à rebours, réintroduisant l’Autre par la voix, Lacan fait un retour réflexif au mythe de la Caverne, dans les Entretiens de Sainte-Anne :

« […] tout ce qui nous est resté legué, légué par une tradition qu’on appelle philosophique, ça fait une grande place au vide. Il y a même un nommé Platon qui a fait pivoter autour de là toute son idée du monde, c’est le cas de le dire, c’est lui qui a inventé la caverne […] ;

Supposez que la caverne de Platon, ce soit ces murs, où se fait entendre ma voix […] Me voir parlant aux murs est quelque chose qui ne peut pas laisser indifférent. Et réfléchissez : supposez que Platon ait été structuraliste, il se serait aperçu de ce qu’il en est de la caverne, vraiment, à savoir que c’est sans doute là qu’est né le langage. Il faut retourner l’affaire […]. »[xxii]

Retournons à Adrien, à ces autres manières de caverne qui font tension à la voix sans la produire. Ce qui est nommable de tension à la voix, le corps d’Adrien, ce sont des éclats non discrets de bruits - des bruisures - qui font question au langage et à la parole, et, en même temps, au regard en ce qu’ils le traversent et lui échappent. Comment dire cette traversée et cette dissémination ?

Aux limites incertaines, il y a ce bruitement comme d’une vibration thoracique, et ce grincement de la mâchoire : en guise de passage, ce reste déchu du souffle, l’air expiré de la poitrine. Le souffle est ces heurts à la surface du corps, comme le tambourinage interne d’un prisonnier trouvant cette issue à son enfermement.

Ça sort comme ça : par exemple, ce tambourinement. Là, du souffle, il faut différencier l’air. Le souffle est (fait) cette peau vibrante, cette peau-tambour. De la même manière, le souffle est ces mâchoires qui grincent l’une sur l’autre. Et l’air suit la trachée… Le lieu où, réellement, l’air et le souffle se clivent, est un goulet d’étranglement où se produit une diffluence[xxiii] : le souffle ne passe pas la gorge, il indiffère aux cordes vocales, un plaisir qui n’a pas lieu. Avec cette diffluence du souffle clivée de l’ex-pression de l’air, le corps est coupé : l’air circule, et le souffle n’y trouve d’autre issue que les concrétions du corps.

Chez Adrien, la question de l’autisme est localisée par ce goulet qui fait étranglement, diffluence et coupure : cette diffluence, sa matérialité, ce sont toutes les excrémentations et sudations originées de ce goulet, qui fabriquent le corps dans sa concrétion[xxiv]. Par cet étranglement, le corps se tient dans et avec les bris. Et c’est à partir de là que la position subjective va pouvoir prendre lieu et corps dans un sonore discret : qu’une émergence du sujet est pensable et possible. Par exemple : les chants de sa mère, seule dans la salle de bain, et qu’Adrien entend et écoute, et qui succèdent à pleurs et larmes, à reniflements de chagrin et d’humiliation, signifient à l’enfant les douleurs à quoi les excrémentations s’accordaient et où elles prenaient corps. Non pas dans une fusion, et ses excrémentations ne lui sont pas les larmes de sa mère : mais elles signifiaient l’humus dans ce moment de la décomposition. Les premiers mots adressés d’Adrien sont pris dans ce moment où la mère va, par ses chants, de manière patente, faire référence à son corps de plaisir[xxv], marqué de discrétion.

Par exemple aussi, et c’est ce fait de transfert qui a porté tout le déroulement de la cure : je n’ai jamais fait appel à quelque technique de dessin, modelage, de jeu d’eau ou autre médiation visant à l’ instauration/restauration d’une image du corps, mais j’ai toujours privilégié le parler dans la dimension d’écho de la moindre expression des exsudations, excrémentations, pour tenter, en me situant au lieu de leurs résonances, de faire à chaque fois de ces bruits voix, paroles et dires. L’analyste était tenu au point de surgissement de la résonance où, par la réduplication de l’écho, l’inconscient lui revenait en consonance.[xxvi] Non seulement il fallait que ça fasse écho en lui (comme on dit que ça fait quelque chose ! quelque part ! à l’analyste) mais aussi cet écho ne devait pas être pris dans une image ou une signification. Au bout du compte, l’écho devait être repris dans un jeu de consonance où s’ouvrait, par l’analyste, la dimension de l’inconscient.

C’est à être ainsi porté et faufilé dans l’inconscient de désir en l’analys(t)e, qu’Adrien a pu se laisser porter par la voix jusqu’à la parole, et gagner une place d’être de désir dans ses tous premiers mots, cette première phrase énoncée du lieu bien tangible du psychanalyste, du lieu par où il y a une place pour dire : je suis coquin, hein !

« L’interprétation doit toujours - chez l’analyste - tenir compte de ceci que, dans ce qui est dit, il y a le sonore, et que ce sonore doit consoner avec ce qu’il en est de l’inconscient. »[xxvii]

Retournons à la fiction de la Caverne : retournons-y en suivant cette hypothèse de Lacan, que c’est là que serait né le langage. Retournons à cette proposition puisqu’après tout, ceux qui sont accompagnés de ce terme, autisme, font effraction dans le champ de l’humain avec, par leur corps tenu dans ces éclats excrémentiels, la question de la voix comme objet leur ouvrant le champ de la parole et du langage. La solution de cette question serait-elle dans ces ombres méconnaissant la spécificité et l’altérité de la voix et ne la supportant, somme toute, que comme une illusion optique ? La voix ne serait-elle pas autre chose que ces fleurs dont l’image, par un jeu optique, donne l’illusion d’un bouquet disposé dans un vase ?

C’est un moment de folie qui va nous ouvrir un nouveau chemin. Il y avait une fois une madame L… qui a réussi, en même temps, à ne pas tuer son enfant et à rater son suicide. Revenue à l’hôpital après quelque temps de prison, il lui est resté à (savoir) porter d’avoir réussi un tel ratage. C’est un délire des sosies, qui va apporter une réponse malgré tout tenable. Ce n’est pas son enfant qu’elle rencontre dans les visites d’hôpital, mais un sosie : d’ailleurs, la cicatrice, trace de l’acte meurtrier, est impossible telle qu’elle peut la voir, dans son dessin, sur le corps de l’enfant. On la trompe en lui disant que son fils est vivant : elle sait qu’il est mort et on se refuse à le lui dire. Elle peut donc, à loisir, se reprocher de l’avoir tué, laisser libre cours à sa culpabilité liée au plaisir d’avoir réussi là où on lui dit avoir échoué, d’avoir enfin réussi enfin quelque chose, et tout à la fois se satisfaire de ne pas avoir tué son fils. La réussite du malentendu est complète : Mme L. arrive à dire sa culpabilité d’avoir tué son enfant, alors que, de fait, et elle se reproche d’en avoir raté le meurtre, et elle est soulagée de voir et savoir son enfant vivant.

C’est à une telle réussite que se noue un premier délire (dit comme par inadvertance, comme ça, en passant). Un père ne peut pas faire un don, légal, de son vivant mais, du père, on ne peut qu’hériter après sa mort. Un père ne peut pas donner de son vivant, et faire que le donataire reçoive le don : il ne peut que tester. Seul le testament signifie le don du père. Alors, recevoir un don du père - légalement inscrit - c’est poser la nécessité de sa mort (faire du don impossible un héritage possible), c’est faire de son consentement, meurtre. Le délire est une solution en posant d’une part que toute donation d’un père vivant est impossible, et d’autre part, la fille ne pouvant refuser la donation du père, que son acceptation est comme le consentement au geste qui tue. Le délire énonce comme possible l’impossible don et l’inadmissible meurtre. À un moment où le délire s’ouvrira, Mme L. passera à l’acte, sur le fils, le meurtre du père.

Tout l’organisation délirante des sosies, où se fabrique un monde du visible, agencé autour de ce qui se verrait d’une cicatrice, se tient à un point près : la voix de l’enfant objecte à la complétude du système délirant. Madame L. pose, à côté de cette certitude délirante, un autre savoir. Elle dit : je sais que c’est mon fils, parce qu’il a la même voix, et la voix ne (la) trompe pas. D’autant moins que la voix, ça la connaît elle qui, dans son travail à l’Opéra, en entendait tant et plus quand elle ne vivait pas dans le fracas des courses automobiles.

C’est donc assurée de la voix qu’elle arrive à reconnaître et signifier le délire. Faute de quoi elle se serait installée toute dans ce système des images et du sosie qui était son monde ; son mari, son enfant, les médecins, les gens en général et le lieu hospitalier où elle était internée, n’étaient que des sosies, des répliques, des doubles, des faux : enfin, c’était un univers d’ombres et d’images qui se déployait là. La voix la rappelle. Aucune tromperie de cette sorte n’est tenable, la voix échappe au scopique. La voix, plus que le forçage[xxviii] de quelque savante bonne âme, rend le monde des ombres et images, où Mme L. tentait de trouver un impossible refuge, à leurs incertitudes.

Avec la folie, même la plus extrême quand elle se fait meurtrière, on peut soutenir, sans qu’il y ait besoin de recourir, comme à un modèle, à l’hallucination verbale et à ses mots injonctifs, que la voix, est le pivot qui rend possible l’articulation à quelque certitude : soit qu’elle l’organise en signification(s), soit qu’elle la déchire. En ces divers sens, la voix et la certitude sont frontalières, en contact l’une avec l’autre. Mme E., qui a réussi à tuer ses deux enfants et à rater à son suicide, explique son acte à partir des éclats d’un rire venu battre en brèche sa certitude délirante, que son jeune fils était l’objet de tentatives diverses et répétées de séduction d’adultes pédophiles. Ces certitudes étaient visuelles ; elle a vu des traces blanches, de sperme affirme-t-elle, autour de l’anus du garçon âgé de deux ans, et elle a vu le regard d’un homme, posé sur son corps étendu, nu. Le rire du père, en faisant éclat au vif de cette première perception puis au cœur de cette vision, a déchiré la certitude délirante grâce à laquelle cette femme se soutenait comme mère. Il ne lui est plus resté, pour s’affirmer mère, qu’à aller à l’acmé du délire en se posant comme salvatrice de ses enfants menacés du sexuel.

En contre-point, avec l’autisme, c’est cette frontière entre voix et certitudes qui est mise en jeu. Non pas qu’elle soit rectifiée, déplacée. Mais l’autisme vient y éprouver ce qu’on a peine à appeler le corps comme cette impossibilité même d’avoir accès à de la frontière, à de la limite, à de la bordure, cette difficulté à quelque jouissance :

« Il y a à ajouter ceci - puisque je viens de vous en donner quatre, de ces pulsions partielles - il y a à ajouter ceci, qu’il y en a une autre, qui se passe aux frontières de ce par quoi la jouissance c’est quelque chose qui concerne le corps et ses confins. Ça s’appelle : la douleur. »[xxix]

Dans cette remarque d’ouverture, Lacan ne parle pas d’autisme : il introduit une autre pulsion partielle, un autre objet, en distendant ce qu’on croit lié, collé ensemble : la frontière entre le corps et la jouissance, en introduisant la médiation des confins. La frontière, ce n’est pas les confins. La frontière trace et une limite et une séparation. Elle se présente comme un trait net, modifiable, et de plus réinscriptible : on arrive à dire qu’elle suit des lignes naturelles, à l’écrire sur des tracés, des croquis et des cartes. La frontière, c’est le trait limite qui définit un côté et un autre. D’une part et d’autre s’étendent des contrées, des pays, des espaces de langues, et pourquoi pas des nations : mais aussi des zones, lieux du cerveau, et on parle, Freud en a beaucoup critiqué le concept, des zones de Broca, de Wernicke… On peut le dire après-coup qu’il a même fait, dans le champ de la neurologie du langage, de la mise en cause de ces concepts de frontière et de zone le point d’appui pour l’élaboration du concept d’inconscient[xxx].

De la jouissance et du corps, Lacan nous propose ceci ; au cœur de cette manière de lien, dans cette prise comme en un ensemble, il faut poser qu’il y a de la frontière. Et cette frontière ne marque pas la séparation entre le domaine de la jouissance et celui du corps, mais elle renvoie, en même temps qu’à la jouissance, à des confins du corps.

Les confins : on emploie ce terme pour dire à la fois les extrêmes et les intermédiaires. C’est comme une zone, qui, tout en étant un espace dans toutes ses dimensions, justement ne serait pas une étendue, mais un simple tracé préliminaire à la frontière, qui aurait comme une de ses limites la frontière même. Les confins, c’est un espace singulier où les repliements les plus extrêmes sont en même temps les dépliements les plus larges, les plus ouverts. C’est dans ce jeu-là que, pour l’autiste, à l’autisme, la jouissance est impossible, inenvisageable. Les confins sont le lieu et le trait où, y versant son corps dans sa masse, dans son peu de poids, l’autiste le perd dans cette bascule jamais arrêtée de pliement en dépliement. C’est pour cela, entre autre, qu’au titre du transfert, l’autiste appelle et récuse à ce que du lieu existe et des frontières soient marquées : en cela aussi que le psychanalyste est comme assigné à jouer avec les frontières où il penserait, par méconnaissance, trouver et assurer du corps. C’est ainsi qu’il est happé par l’autiste, jusqu’à faire de la cure jeu avec le corps, jeu de corps. C’est en ce sens que le psychanalyste, le thérapeute, est sommé à la perversion, c’est à dire à jouir de l’autiste : en le montrant, par exemple…

L’autiste, corps pesant, qui se plie-déplie dans ces confins, ne connaît pas de frontière. Son corps est toujours porté de confins en confins, sans que nul objet ne vienne marquer, de cette étendue où l’horizon se perd dans l’horizon, quelque frontière. C’est en cela, que par les excrémentations, les exsudations, les vibrations et les grincements de tous ordres, il n’est qu’un système de bruits-éclats de corps, qu’un système de la bruisure en tension qu’une voix (comme corps du trait) vienne se poser comme l’objet. La voix est l’objet en question par le confinement de l’autiste dans sa bruisure.


[i] Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Chant deuxième, strophe 8, p 96, Pléiade, NRF-Gallimard, Paris 1970.

Ce texte, qui prend pour base l’intervention dans le Colloque sur la Psychanalyse et Réforme de l’entendement, était largement en cours d’écriture avant que je ne fasse connaissance avec l’aphasie. François Baudry m’a soutenu et aidé à le reprendre et le terminer. Il y aura une suite, avec Errances avec les hors la voix (A paraître).

[ii] Cf. S. Hajlblum, La douleur de Vera, in Che Vuoï n° 4, La folie insoupçonnée, L’Harmattan, Paris 1995, pp 35-43.

[iii] Cf. Infra, avec J. Lacan, cette question très présente avec l’autisme : qui donc, au juste, parle et ne parle pas ?

[iv] Ce terme de retournement, je le propose comme le mot pour dire une manière d’impasse, celle même qu’a repérée Lacan dans cette remarque d’ouverture des Écrits : « […] dans le langage notre message nous vient de l’Autre […] sous une forme inversée. […] Mais si l’homme se réduisait à n’être rien que le lieu de retour de notre discours, la question ne nous en reviendrait-elle pas d’à quoi bon le lui adresser.” (J. Lacan. Ecrits, Ouverture, p 9. Seuil, Paris 1966. Je souligne). Adrien là, prend la place de l’analyste : singulier destin de l’autiste quand il en vient, à ce point, en interrogeant l’analyste de sa place, à faire question à l’analyse même, dans le vif du transfert qui rend tout retournement possible .

[v] Platon, La République, Livre VII, in Pléiade, Platon Œuvres Complètes, vol. I 515c, 515e, 516a.

[vi] J. Lacan, « Conférence à Genève sur le symptôme », in Le Bloc-notes de la Psychanalyse, Gallimard, Paris , 1985, n°5, pp 5-23. Cit. p 14.

[vii] Voir l’excellent numéro de la revue Equinoxe, “Bruits” n° 14, Automne 1995, Arches Fribourg, sous la direction de Christopher Lucken et Juan Rigoli.

[viii] « Provenant, à travers le verbe “bruire”, du latin populaire “brugere”, par altération du verbe “rugire” (“rugir” s’il s’agit d’un lion, mais également “braire” quand il s’agit d’un âne), le “bruit” renvoie à la “ruditas” d’un cri dont la rudesse ou la rugosité ne peuvent que blesser l’oreille formée à la suavité des sonorités polies par un incessant effort de civilisation. ». « Le Bruit et L’œuvre », Chistopher Lucken et Juan Rigoli, in Equinoxe, op.cit. pp 5-12, p 6.

[ix] J. A. Miller, « Jacques Lacan et la voix », in La Voix, Colloque organisé par le CMPP d’Ivry le 23/01/1988, Lysimaque Paris 1989, pp 175-184, p 177/178. Les italiques sont de moi, et je souligne.

[x] Je pense aux travaux de A. Leroi-Gourhan, notamment à son ouvrage, Le geste et la parole, 2 vol. Albin Michel, Paris 1964.

[xi] Ces termes que j’utilise d’univers sonore, de matière sonore, je les réfère à cet texte de Victor. Segalen, « Dans un monde sonore », édité en tiré à part chez Fata Morgana, Fontfroide 1985, mais présent dans le volume édité de ses échanges avec Debussy, Segalen et Debussy, du Rocher, Monaco 1982, et aujourd’hui dans la collection Bouquins, V. Segalen Oeuvres Complètes, R. Laffont, Paris 1995, Vol.1, pp 551-567.

[xii] A un monde, un autre, quand bien même serait-il nouveau. Là où les choses insistent avec ce qu’on décrit comme autisme c’est que, dans un monde ou dans un autre, ça ne fait pas plus solution. L’autisme oblige à poser que la solution consiste à dissoudre cette hypothèse même : qu’il y ait du monde.

[xiii] J. Lacan, Conférence à Genève, op.cit. p 17. Je souligne.

[xiv] Cf. J. Lacan qui, dans son séminaire sur La Relation d’objet montre bien, à propos de Hans, comment la réaction de dégoût de cet enfant devant les culottes noires de sa mère, lui permet la phobie alors que, manquante, seule une position perverse aurait été ouverte. C’est pour cela que, par rapport à Adrien, il importe de différencier ce que l’autre pouvait, éventuellement, en entendre. Là, l’amour, l’attrait, introduisent à un lien pervers.

[xv] Platon, La République, op.cit. 514b, je soul.

[xvi] Platon, La République, op.cit. 515c.

[xvii] Par exemple: Breno Boccadoro, rappelant Theon de Smyrne, écrit : « Le nombre est à la note ce qu’un rapport est à l’intervalle et le son est à l’intervalle ce que la lettre est à la dsyllabe. De même que deux notes forment un intervalle et plusieurs intervalles des systèmes, deux lettres forment une syllabe, plusieurs syllabes des paroles, et un ensemble de paroles un discours. Or, le bruit est dit alogos. Le sens strictement mathématique de ce mot suppose l’exclusion du bruit des quantités discrètes […] un intervalle irrationnel ne saurait s’intégrer dans la société des sons, il est en-dehors de la syntaxe. » « Archéologie du bruit dans la théorie musicale de la renaissance », in Equinoxe, op.cit. pp15-30, cit p 20-21.

[xviii] Platon, La République, op.cit. 514a. (Je. souligne)

[xix] J. Lacan. Entretiens de Sainte-Anne (Le Savoir du Psychanalyste). Entretien du 06/01/1972, Texte inédit, non établi à ce jour. (Je souligne)

[xx] Platon, La République, op.cit. 515b.

[xxi] Platon, La République, op.cit. 515b.

[xxii] J Lacan. Entretiens de Sainte-Anne. Entretien du 06/01/1972. Je souligne.

[xxiii] C’est là que J.L. Godard, in Nous Trois (Film TV diffusé en 1976) a introduit la boite aux lettres comme moment et goulet du bruit (essentiellement les divers bruits des moteurs de voiture, les claquements des portières qui enveloppent le boite à lettres) opposé au parler muet et à l’écriture vaine du prisonnier de l’image. La boite aux lettres et sa fente sont comme cet étranglement qui laisse le prisonnier reste sans voix, et où s’installe comme la bruisure du jeu social, des envois et des correspondances, des rapports aux autres.

[xxiv] J’emploie à dessein ce terme. Parce qu’enfin, de ces autistes il est pensable de poser cette question qu’une fois F. Dolto s’est ouvertement posée à propos d’un enfant qu’elle recevait: qu’est-ce qui a fait qu’il ait vécu ? La réponse est venue dans le fil de la thérapie : une voix, un chant qui, dans un plaisir et un appel de l’Autre, lui ont témoigné d’une existence possible.

[xxv] C’est de là qu’il vaudrait de lire les Chants de Maldoror, d’Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont.

[xxvi] La résonance, dans son sens d’écho rencontre éventuellement l’autre, alors que la consonance suppose l’Autre.

[xxvii] J. Lacan, « Conférences et entretiens dans les universités nord-américaines » Columbia university, 1/12/1975. in Scilicet 6/7, p 50, Seuil, Paris 1976.

[xxviii] Platon, La République, op.cit. 515c.

[xxix] J. Lacan, « La psychanalyse dans sa référence au rapport sexuel », in Lacan en Italie, La Salamandra, pp 59-77, p 71.

[xxx] C’est le sens de ce premier chapitre de la Traumdeutung, intitulé « La littérature sur le rêve ». Aussi loin qu’on puisse aller dans tout ce qui a été écrit sur le rêve, on ne rencontre pas une limite, une frontière entre ce qui est de l’ordre du conscient, et ce qui définirait l’inconscient. Même pas la négation, et l’inconscient n’est pas le négatif du conscient, le point non conscient dans ou apposé à, l’ensemble du conscient. C’est d’une autre chose dont il est question, et pour mettre en place la frontière, Freud va nommer des confins, le préconscient.