« Seuls les idiots se précipitent où les anges redoutent de s’aventurer »
Jean-Michel Vappereau

Les femmes et les hommes qui passent pour responsables ont tort de se complaire dans l’idée un peu facile selon laquelle les choses du monde seraient régie par une pensée vigile soumise aux lois bien connues de la logique classique, et que la confusion produite par le conflit mental pourrait être tenue à l’écart dans une sphère intime.

En montrant ici que le conflit dont il s’agit dans l’intimité du sujet est celui qui s’impose entre l’espace public et la sphère privée, nous démontrerons que la rationalité étend son règne beaucoup plus loin qu’on ne veut bien l’admettre, et que par contre-coup la débâcle mentale s’étend très facilement pour les mêmes raisons à l’ensemble des liens sociaux et des institutions.

Lacan à tracé l’esquisse de la structure du sujet à un moment de son enseignement, en 1956, avec le graphique dit par lui schéma R que nous reproduisons ici.

Nous voulons montrer comment il est possible de s’en servir dans l’observation de la cité, sans tomber ni dans la psychanalyse sauvage, ni dans le détournement de ses catégories.

Nous voulons montrer où se place rigoureusement la « monnaie névrotique » dont parle Freud.

 

La trahison des clercs           

  On se souvient du titre de l’ouvrage de Julien Benda, en 1927. Il s’agissait d’une défense de l’abstraction face à l’affaiblissement du style : l’annonce que l’écrivain était mort à toute activité intellectuelle. Moqué par Jean Paulhan, comme une pièce de son dossier pour et contre la rhétorique, à une époque où il était encore commun de rabaisser ses fleurs à la pâle notion d’images. Il ne s’agit plus, de manière simple, de cela, aujourd’hui. 

  Invité à participer, à Montréal, en 1994, à un Colloque organisé par mon ami J.-P. Gilson, j’ai pu entendre là-bas une dénonciation de la démission des clercs.

  La première session fut marquée par une interpellation, amusante et polie, il faut cela pour ne pas paraître délirant, à l’adresse des intellectuels, de la part du dramaturge québécois R.-D. Dubois qui constata l’absence de parole dans le monde où il se débat. Il diagnostique à ce propos qu’il y règne un principe qui veut que «la peur vaux mieux que tous les discours». Cette absence est accompagnée selon lui de quelques conséquences : politique vaseuse, agora désertée, analphabétisme violent, intellectuels silencieux.

  En somme, c’est comme chez nous, auquel cas, en tant qu’intellectuel, j’ai cru bon de lui répondre, en lui accordant la démission effective des savants et aussi, ce qui est plus grave, des tenants du discours analytique. Ils sont, depuis quelques temps, les uns et les autres, prisonniers d’un pacte, aujourd’hui dominés par la victoire politique de l’épistémologie de K. Popper. 

Le pacte d’une soi-disant ouverture...           

  Se trouvera-t-il un J. Paulhan aujourd’hui pour nous démontrer que cette sorte de dénonciation se retourne en son contraire et que celui qui s’y adonne tombe sous le coup des reproches qu’il prétend dénoncer chez les autres ? Forme élémentaire de la folie, sous l’aspect de la politique de la belle âme.

  Mais peut-être s’agirait-il d’autre chose ?

  Cette idéologie soft, issue de la théorie de la recherche scientifique, conduit, de la concurrence des théories en vue de leur falsification, seul moyen, selon Popper, d’éviter la métaphysique, à la justification de la concurrence économique et sociale la plus sommaire. Le politique étant rabaissé à la fonction de régulation comme disent les tenants de cette idéologie, ne laissant place qu’aux techniques comportementalistes d’aménagement mental et de market-dingue.

  Nous vivons donc cela tous les jours de deux cotés de l’Atlantique. 

...puis un enfermement 

  Ajouter à cela la dernière proposition du Tractatus logico-philosophicus de Wittgenstein qui se réfère à ses six propositions précédentes, définissant le monde par la logique vérifonctionnelle classique et qui asserte que : « Ce que l’on ne peut pas dire, il faut le taire ».

  Il faut l’entendre comme : ce que l’on ne peut pas dire dans les termes du Tractatus, et il est bien sûr qu’il y a beaucoup de choses qui ne se peuvent dire dans ces termes, il faut le taire. Wittgenstein appelle éthique les énoncés qui y échappent. Il s’agit d’une éthique de joueur de tennis à la façon de M. Hulot[i] version J. Tati.

  L’enfermement dans ce monde clos n’exclut pas qu’il y ait autre chose à dire, mais le rejette du fait qu’il soit impossible à dire dans les termes de ce monde. Laissant en plus entendre à nos contemporains, imbus de sérieux et de responsabilité, avec la garantie du savant, qu’il n’y a rien à dire en dehors. En dehors de ce qu’on voudrait nous faire croire de la raison. Nous avons appelé cela ailleurs le toutaimisme, l’amour du tout aujourd’hui. 

  Nous dénonçons donc ce pacte qui est double et qui a un nom, le discours du Capital dont on a vu  les résultats à l’Est de l’Europe quand le capitalisme se veut scientifique sous la bannière du Léninisme. Il accouche de la mafia et de la religion qui y survivent très bien.

  Il est amusant, c’est l’ironie de l’histoire et de la pensée, de constater que les tenants de ce pacte prétendent s’opposer au marxisme comme idéologie alors qu’ils en installent le pire avatar dans une mondialisation irraisonnée. Nous vivons donc dans l’immonde du rejet de la sexuation, rejet de la structure de la vérité, rejet de la question divine.

  Ce qui est rejeté avec l’éthique en question a aussi un nom, la pudeur, avec ses contraintes et ses charmes. 

La démagogie 

  Inutile d’ajouter que si la plupart ont approuvé ma réponse, et sa conséquence selon laquelle nous étions là, réunis dans ce colloque, prétendant traiter des Itinéraires du dire dans le registre de la doctrine, pour y remédier, compte tenu du fait que la topologie de la métapsychologie freudienne s’oppose à cette démission imbécile et qu’un appel à la population risque d’être un rien démagogique, certains ont désapprouvé dans les couloirs.

  Pas étonnant, vu leurs références doctrinales. En fait, ceux qui revendiquent le sérieux pour éviter la folie de la belle âme sont aussi démagogues, cette fois ils en revendiquent la responsabilité, en favorisant la facilité puis la lâcheté par l’absence de réponses autres que les idioties techniques. C’est ce que je veux démontrer sous le titre que j’ai choisi, puisqu’il faut être idiots pour ne pas se satisfaire de cette autorégulation qui dénigre le politique et aller faire une excursion ailleurs. 

  Je dois donner ma définition de la démagogie. La démagogie n’est pas l’irresponsabilité. Elle n’est pas simple folie. Elle relève d’une autre causalité, la causalité psychique. La démagogie consiste à obtenir, en pure méconnaissance de cause, l’adhésion à des solutions de facilité grâce à quelques figures atteignant l’intimité des sujets par le biais du désir.

  Ce sont les dangers de la rhétorique des batteurs d’estrades et des experts dont le talent et la réflexion ne vont pas jusqu’au réel en jeu dans cette histoire. 

  Il y a deux moments dans cette définition de la démagogie.

1 - Les solutions de facilité qui sont telles, même si elles ont pour elles une tradition et peuvent passer pour vénérables ou si elles sont le pur produit d’une technique de modélisation. Estimables ou efficaces, elles passent pour sérieuses. Les imbéciles se réfèrent à la validité, terme employé en logique, disent dans leur langue de bois qu’elles sont valables. Pas de pensée dans ce cas, à courte vue.

2 - Il y a la façon de présenter les choses qui est indigne, mais le contraire ne l’est pas moins, compte tenu du réel en jeu dans notre époque. Chacun abuse à sa manière de la confusion entretenue entre les savants et les scientifiques. 

  Car il y a une façon constante de croire s’opposer à la montée de la démagogie. il suffirait de dire : « Ce n’est pas si simple ! », à toute occasion où quelqu’un émet une banalité qui fait voir le scandale d’une situation présente. Sans rien ajouter. D’un air de vous dire que vous ne pouvez pas comprendre, les mêmes ajoutent : « C’est plus compliqué ! ».

  Certes, mais si c’est si compliqué, reste à notre charge de bien l’expliquer. À moins que ce ne soit trop compliqué, voire inexplicable. Lorsque l’on ne peut pas s’expliquer, mieux vaut se taire.

  Les psychanalystes ont fait grand usage de cet adage wittgensteinien, car si vous avez commencé à parler, engagé dans cette responsabilité, il faut aller jusqu’au bout, enveloppé dans le silence condescendant des autres et puis de l’Autre.

  Nous tenons que même depuis la psychanalyse nous pouvons donner des explications. 

  Or nous sommes à l’époque du plus grand nombre, certains ont dit : « les masses ». Certes il y a une différence entre un et plusieurs.

  Nous savons que, dans une foule, il y a une baisse des capacités intellectuelles et une plus grande violence de ceux qui y participent, mais est-il pour autant légitime de considérer qu’une diffusion de grande ampleur s’adresse à une foule organisée comme telle ?

  Si précisément, il faut des relais entre la pensée et le plus grand nombre, ces relais sont bien responsables de ce qui se produit d’une manière massive dans un grand ensemble et la psychologie des foules n’est qu’un alibi pour les tenants de telles ou telles techniques, non pensées, afin de se défausser de leur responsabilité.

  Il est un lieu d’argumentation dans les manuels de savoir manipuler propice à cette démission. Il s’agit de rabaisser les effets du dire[ii] sous les auspices de la crédibilité. Il s’agit en fait de couvrir la crétinité de ce commentaire qui méconnaît la structure du langage. Un commentaire rigide qui surplombe son objet, sorte de métalangage figé.

  La structure du langage, c’est au contraire la pulsation nécessaire entre langage et commentaire qui les fait se distinguer dans l’identité. Structure involutive dont il est difficile de se saisir.

  À partir de cette structure topologique, il ne s’agit pas de faire la psychologie du savant, mais de suivre les coordonnées des fonctions et des objets de fictions qui sont alors nécessités. Il y a une différence entre un automate abstrait, comme une machine de Turing, qui n’est jamais qu’une grammaire d’un type spécial, et sa réalisation sous l’aspect d’un ordinateur. Le premier a permis de concevoir et de fabriquer le second. De ce fait nous sommes maintenant à l’ère des processus semi-récursifs et non récursifs.

  Posons-nous la question de rendre compte pourquoi un savant comme Austine est parti, à Oxford, du même problème que Freud, à Vienne, relatif à la vérité, sous le titre de l’assertion, et n’a pas inventé un nouveau lien social. Il s’est même dirigé dans la direction opposée à la psychanalyse, en une sorte de contre feu. Nous parlerons du « contre f(r)eu(d) toutaimiste ».

  Même la violence la plus brutale repose sur un pacte, qu’elle soit particulière ou collective.

  De plus, nous savons que la structure de foule se retrouve chez chacun en ce que Freud appelle le moi, soit la personne, voire la personnalité. Nous pouvons donc, au contraire, faire appel au sujet d’une collectivité, qui n’est pas un sujet collectif. Mais inversement, un sujet n’est jamais réduit à seul corps, il se déplace et se condense.

  Il y a un malaise entre les spécialistes qui ont démissionné devant l’horreur engendrée par leurs spécialités et les populations qui les supportent et dont ils sont issus. Ils ont démissionné parce qu’il est dit que « seuls les idiots se précipitent où les anges redoutent désormais de s’aventurer ». 

Quels sont ces lieux ? 

  Ces lieux, topoi, désertés par les anges et qui paraissent si peu fréquentables, nous avons commencé à les dire contre l’usage qui est fait de Wittgenstein ; l’éthique est elle-même bafouée aujourd’hui, on la met à toutes les sauces... Cette formule a le mérite d’avouer qu’il existe des lieux pour la pensée où il ne faut pas s’aventurer.           

  Je trouve un autre exemple de cette attitude dans le commentaire d’introduction à la publication des « Rêves d’un visionnaire » de Kant. Le traducteur écrit pour présenter l’ouvrage : 

« ... il est rare qu’un grand nom de savant ou de philosophe ait honoré ces polémiques. » 

  On sait qu’il s’agit de dénoncer les croyances en un monde des esprits, qualifiées volontiers de spiritualisme vulgaire ou d’occultisme. 

  Qu’il y ait des questions idiotes, cela est vrai ; combien de crédits, voire de fortunes se sont trouvés englouties par nos gens localement compétents, présentant toutes les garanties du bien-pensant, dans la recherche de solution à de faux problèmes, des problèmes mal posés !

  La réserve émise par les gens convenables n’a jamais empêché cette dilapidation de valeurs et de biens publics ou privés.

  Sans être militant écologiste, la question se pose à chacun de l’arraisonnement du réel par la science et la technique. La notion que l’on se fait du réel dans le monde de la technique va de la dépréciation au farfelu. 

  Il n’y aurait donc pas de réponses et il faudrait se contenter d’une simple discrimination. Il n’y aurait que ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. Attention au manque de modération, à l’extrême on se trompe souvent. Mieux vaut rester tièdes, nous en avons dressé et redressé plus d’un.

  On peut voir les aventures qui sont arrivées à quelques-uns, la liste peut s’allonger, Galois, Cantor, Mayer, Freud, Lautman, Cavailles, Lacan... « Il y a un drame dans la science » dont nous pourrions estimer la portée autrement qu’en prétendant faire des diagnostics sous couvert d’histoire pour se rassurer.

  Il n’y aurait donc pas de réponses. Cette formule sert aussi d’alibi, toujours le même, dans le même temps, et conduit aujourd’hui à une stagnation de la lecture et de l’élaboration sur cette base.

  Il paraît que dans notre monde d’éditeurs « managés », les meilleurs se font toujours reconnaître... à temps.

  Cela n’est pas sûr à notre époque qui commence à être bien avancée dans la psychose sociale, derrière ce mur de papier vendu en pure perte de pensée. Quelque chose d’aussi redoutable que le trafic des archives de l’histoire, devant le refus de constater l’impossibilité de dire l’horreur de l’exclusion, des camps. La psychose n’est pas réservée aux malades et il se dessine quelque chose comme la négation du futur. 

  Certes, Freud découvre un ombilic dans les rêves, cet ombilic de la pensée est mobile et variable pour chacun. Pour certains il est tout de suite atteint.

  Ainsi, au-delà de l’égalité et de la liberté fortement battues en brèche, et qui seraient de vieille lunes, ce renoncement à la raison, sous prétexte de réalisme politique, accrédite le règne des intérêts immédiats, la fortune, le pouvoir, les honneurs, la complaisance avec un état de fait dont certains tirent avantage au détriment des autres. Seuls les idiots s’en inquiètent encore. 

  Ce n’est pas seulement ces lieux, la Vérité, la sexualité, le Sacré... qui sont abandonnés aux vieilles recettes. C’est la méthode d’approche et de traitement nécessitée par sa structure qui est rejetée.

  La modernité, et il faut voir ce que la plupart glisse sous ce vocable, serait impuissante à produire autre chose que de l’indignité. Nous sommes sommés de prendre parti pour la fuite en avant ou pour la réaction. Assommés par tant de bêtise.

  Or nous opposons à cet état déformé des lieux le slogan du poète, même s’il lui arrive, à lui aussi, de se désister. « Il faut être résolument moderne. » 

  Il y a urgence dans le siècle, chose curieuse chacun ne la voit pas du même regard. Pour certains c’est l’existence des camps et la montée de l’autisme plus commun, pour d’autres c’est la bombe plus technique.

Le nœud : machine, organisme, langage 

  Nous formulons ainsi le nœud qui cerne ce qui ne se pense pas mais doit être construit. Or il existe de bonnes références pour la pensée, à condition d’aller les chercher chez les meilleurs. Mais eux aussi sont contestés de n’avoir pas su, comme on dit, totaliser le savoir, comme s’il s’agissait de cela. Fournir du savoir qui soit ready made, prêt à penser. Et les merveilles techniques sont si attrayantes. De toute façon, il n’y a qu’elles qui relancent la production industrielle. Réalisme toujours.

  Nous prendrons d’abord deux par deux les termes de ce nœud, pour bien montrer qu’ils ne se nouent que par trois et qu’il reste futile de vouloir les penser séparément de façon isolé... 

Machines et organismes d’abord 

  Notre référence sera là G. Canguilhem[iii]. Il n’est pas suspect de démagogie ni de tape-à-l’oeil. Il apporte pourtant une pièce principale au dossier en s’inquiétant du fait que la biologie et la médecine ne peuvent pas être seulement mécanistes, mais que le vitalisme dérape toujours dans la pire ségrégation. Il a su montrer que la machine, mécanique et électronique, n’étant qu’un relais, se distingue de l’organisme qui, même défectueux, persévère toujours. Le trait qui caractérise la vie de l’organisme reste le monstre et la monstruosité.

  On peut discuter bêtement du fait qu’un bricoleur, par opposition à l’ingénieur, peut faire fonctionner une machine défectueuse, voire cassée. Il y faut justement un sujet qui sait faire tourner sa vieille voiture. Par contre le mouton à cinq pattes, les organismes siamois tentent de survivre coûte que coûte, même s’ils échouent à terme.  

Langage et machine ensuite 

  Tournons-nous vers Chomsky[iv] et sa démonstration selon laquelle une langue vernaculaire n’est pas susceptible d’être produite par un processus récursif à états finis, ce qu’est une machine, même électronique. Ceci le conduit à reconnaître la nécessité des processus semi-récursifs dans sa grammaire transformationnelle, comme ils s’imposent, soit dit en passant, dans les constructions des mathématiques un peu relevantes.

  On peut cacher cette coupure structurale dans des algorithmes partiels assez ingénieux pour bluffer le péquin lorsqu’il est client de l’industrie, cela ne change rien au fond du débat. 

Organisme et langage enfin 

  Ici il convient de ne pas oublier que Freud a été neurologue et que c’est à considérer les barrières neuroniques en éthicien face aux apories de la morale qu’il a été conduit logiquement à découvrir l’inconscient et à inventer l’analyse.

  De son côté Lacan rappelle les travaux des physiologues peu enclins à la métaphysique. Ils ont montré, dans les années trente déjà, qu’il existe une prématuration irréductible chez le mammifère humain qui peut être considérée comme la raison de son recours au langage et à la structure du signifiant comme à un poumon d’acier pour survivre. Cela étant bien connexe au critère canguilhemien caractérisant les organismes, puisqu’il s’agirait alors d’un monstre, organisme défectueux, qui s’est appuyé sur une autre dimension pour survivre tant bien que mal.

  Ajoutons à cela le fait d’avoir isolé chez les pigeons et les criquets une fonction que l’on retrouve très largement dans l’éthologie, d’un imaginaire scopique produisant des mutations organiques.

  Ce qui montre que la psychologie humaine n’est pas séparée de la psychologie animale. Mais certainement pas pour réduire la première à la seconde, comme veulent le tenter les béhavioristes de tous poils. Pour montrer au contraire comment l’étude du sujet soumis au langage de l’objet qui le cause peut éclairer la physiologie animale.

  Car il faut s’inspirer de Pavlov pour se saisir du rapport psychosomatique en constatant que l’on peut névroser un animal justement dit d’hommestique. Mais sur une période fort courte. Le sujet dans ces expériences est du coté de l’expérimentateur comme dans les labyrinthes de Skinner. Soumettez un sujet à cette technique et vous pouvez le rendre fou. 

  C’est ici que le science du comportement échoue et montre la stupidité de ses tenants. Car il peut être judicieux de former selon ses techniques des sujets à des conditions extrêmes ou particulièrement anormales. Comme le sont les cosmonautes des explorations interplanétaires dans un habitacle réduit ou les équipages des voyages intercontinentaux par un aménagement mental et physique intensif. Mais il faut dire combien il est stupide de caresser cet espoir dans le cas de l’organisation de la famille, de l’entreprise et de la cité.

 

  Nos trois composants, la machine, l’organisme et le langage sont noués de telle sorte que nous ne pouvons les séparer ni constater entre eux aucune hiérarchie évolutionniste, puisque c’est l’organisme débile du mammifère humain qui, grâce au langage, retrouve ou trouve pour la première fois à produire de nouvelles machines. 

La vérité 

  Ce à quoi se refusent les savants de ces générations accablées, c’est à la structure de la vérité, sous prétexte qu’elle ne se dit pas toute. Leurs héritiers ont résolu, non seulement, de ne plus en parler, car il faut se taire, mais même de la négliger. Dans ce cas il n’y a plus qu’à se terrer.

  En effet, s’ouvre alors l’espace de la pureté de l’âme ignorante, débarrassée du difficile problème du savoir, la terreur. 

  Un exemple particulièrement probant qui est véritablement comique pour le logicien qui se trouve automatiquement placé au balcon par la bêtise du programme : il s’agit des avatars de la transparence, du mot transparence en relation avec la vérité.

  On peut savoir, on devrait savoir, que le logicien, tel Frege s’interrogeant sur la structure de la vérité, s’était aperçu, comme cela se savait déjà avant lui, qu’il ne sert à rien de dire que ce que l’on dit est vrai, que cela n’ajoute pas une once de vérité à ce qui est dit : il ne sert à rien d’ajouter à ce qui est dit que cela est vrai. Il en concluait que l’on ne peut définir la vérité, ou sinon, qu’il faut prendre cette transparence, figure scopique et lumineuse, comme la définition de la vérité.

  Cette expression qui indique un lieu où il vaut la peine de penser et où il faut passer et repasser encore, est devenue dans les discours publics aujourd’hui le moyen de désigner le contraire de ce dont il s’agit. On parle de transparence pour inviter à ce qu’il n’y ait plus d’opacité au regard de la vérité vraie que l’on souhaite obtenir dans la clarté sans obstacles, les obstacles devenant transparents.

  Que des imbéciles croient y parvenir, nous pouvons l’admettre, c’est même ce qui fait la clientèle du démagogue, mais que des intellectuels qui se croient très malins par-dessus le marché, comme les journalistes et les politiques de toutes tendances chez nous, soient pris dans cette fourchette et nous ne pouvons que nous désoler, car cette situation humoristique ne nous fait pas nous plier de rire.

  C’est là que le discours sur les masses nous paraît facile, lorsque des professions entières, dans leur ensemble, se substituant au public qu’elles informent, lui donnent forme, se complaisent dans l’imbécillité et prétendent alors qu’il n’y a rien à faire, du fait de ces autres englobés en une entité trompeuse.

  La soi-disant résolution de problèmes techniques ne peut faire l’économie de la responsabilité. 

  Nous nous interrompons maintenant pour un morceau un petit peu commercial, portant sur la structure de la vérité et l’a-scientificité de la psychanalyse.

De la fonction phallique à la castration... La raison depuis  Freud.  

1- Hans, Tarski  

  Le petit Hans formule la même structure concernant la fonction du phallus que Tarski à propos du prédicat de vérité : 

« Anna qui est ma soeur » a un fait-pipi si et seulement si Anna est ma soeur.

 

« La neige est blanche » est vraie si et seulement si la neige est blanche. 

que nous transcrivons dans la formule algébrique unique : 

F (a) Û s 

2- Benveniste, Descartes  

  Donnons d’autres exemples qui s’écrivent aussi bien, 

s Û F (a) 

Avec l’emploi des pronoms personnels,  je Û (le sujet qui prononce l’énoncé contenant  « je ») l’emploi de la deïxis, l’emploi des verbes performatifs[v]

  Avec la position du sujet de la science chez Descartes

 je pense Û je pense donc je suis  

  Tarski montre que pour écrire cette structure il faut nécessairement recourir à un métalangage afin d’éviter le paradoxe du menteur. 

3- Le titre de cette démonstration est faux           

  Appelons t le titre de cette démonstration. Ce titre s’écrit donc aussi « t est faux ». Plaçons cet énoncé dans la phrase de structure T : 

F (a) Û s 

qui conditionne l’emploi du prédicat de vérité F(x) : x est vrai. Cette condition d’emploi devient 

F(t) Û t est faux

qui écrit donc

t est vrai Û t est faux 

sensiblement paradoxal ou carrément contraire. 

  D’où la nécessité d’écrire le prédicat et les noms des énoncés du langage-objet dans un métalangage distinct du langage-objet. Il y a donc depuis Tarski nécessité du métalangage afin de parler de vérité sous l’aspect de l’emploi d’un prédicat de vérité. Mais que va-t-il se passer ?

  Deux choses se produisent. D’abord, en mathématique cette différence entre langage-objet et métalangage s’efface, comme l’a démontré Gödel, dès que cette mathématique traite de l’arithmétique, ce qui peut sembler la moindre des choses pour une mathématique aux yeux de certains mathématiciens.

  Ensuite en logique cette différence s’efface, comme nous le démontrons[vi].   

  La construction effective de ce métalangage nécessite un opérateur que nous notons A, suivant Lacan en cela, dont l’usage est barré. 

4- Les trois négations de la topologie du sujet et le A barré 

  La logique canonique classique modifiée en topologie du sujet est un métalangage de la logique canonique classique.

  La modification ne tient qu’à l’introduction d’une nouvelle négation ~, dite première négation modifiée. Il faut un principe formatif supplémentaire pour régler son emploi dans l’écriture : 

Si P est un énoncé bien écrit ~P est un énoncé bien écrit 

et un axiome pour régler son usage dans les calculs démonstratifs 

(~p Þ (~q Û ¬q)) 

  Mais nous pouvons donner une interprétation de ces calculs, pour les lecteurs peu pliés à cette syntaxe,  avec un type de tables de vérité modifiées où la première négation apparaît définie classiquement  par  (AÙ¬p). 

p A   ~p

0 0     0

0 1     1

1 0     0

1 1     0  

  Or le fait de l’écrire ~p dans une construction purement syntaxique qui ne fait pas référence à l’opérateur A permet de se saisir de l’écriture de cet opérateur en tant qu’il est barré, soit A barré, en effet .

  Ainsi donnons la table des trois négations de cette topologie. La seconde négation modifiée est un symbole abréviateur défini grâce à la négation classique et à  la  première  négation   modifiée : 

 =def (¬p Ù ¬~p).

                                                              p   ¬p  ~p 

0 0     1     0   1

0 1     1     1   0

1 0     0     0   0

1 1     0     0   0

  Et définissons l’opérateur unaire de vérité |– du plongement de la logique canonique classique (Lcc) comme un symbole abréviateur, grâce à la première négation modifiée et à la négation classique :  

|– p =def (p Û ~ ). 

  Il se démontre qu’il n’y a pas de métalangage car la condition tarskienne qui nécessite ce métalangage écrit dans la construction effective du métalangage trivialise celui-ci (nous parlons de castration... en effet la fonction F s’efface).

5- L’assimilation provoque la transparence 

  Nous plongeons la Lcc dans notre topologie en écrivant pour chaque énoncé P l’énoncé 

 =def (~~P Ú )  

et nous écrivons la condition formulée par Tarski pour un quelconque de ces énoncés, soit 

|–  Û   

qui dit que  est vrai[vii] si et seulement si .

  Adoptons cet énoncé d’assimilation comme un énoncé nécessaire

(|– Û ) 

c’est-à-dire un axiome supplémentaire dans notre topologie, posé d’emblée donc a priori mais synthétique car il écrit l’assimilation qui s’impose comme condition d’emploi d’un tel opérateur du point de vue du plongement de la logique classique, mais ne s’impose pas dans notre topologie.

  Il implique ~ et par conséquent, selon notre axiome

(~p Þ (~q Û ¬q)) 

spécifique de la logique modifiée, il implique 

(~q Û ¬q) 

  Or cette expression pose l’équivalence de la première négation modifiée avec la négation classique. C’est la trivialisation de la modification, au sens où il n’y a plus de modification, celle-ci s’est résorbée dans la Logique canonique classique. 

  Seul reste le langage-objet auquel s’identifie le métalangage. A se trouve résolument barré pour une raison supplémentaire et maintenant nécessaire. Dans ce contexte d’évanescence un des termes de la condensation signifiante (métaphore du sujet) devient S( ). Nous parlons de condensation lorsque se produit ce contact intense qui va jusqu’à l’identité entre le métalangage et le langage-objet, à propos de ce capitonage qui donne S( ) car A devient évidemment inconcevable mais pourtant présent quoique transparent en Logique canonique classique. Nous donnons un exemple classique de l’aliénation produite par cette pulsation signifiante et de son effet de présence par reflet avec le paradoxe de l’implication matérielle. 

  Nous disposons ainsi de la structure demandée où il n’y a pas de métalangage, ce qui veut dire maintenant : il est faux que « il n’y a pas de métalangage » et il est faux que « il y a du métalangage » car c’est ainsi que cela peut s’écrire dans notre topologie.  

6- La psychanalyse n’est pas une science canonique classique 

  Nous sommes donc dans une situation particulière en Logique puisqu’il n’y a pas lieu comme le revendique avec raison W.V.O. Quine de considérer une autre logique que la canonique classique.

  Celle-ci, consistante et complète[viii], est simple et élégante, elle ne comporte aucun paradoxe. Les paradoxes ne réapparaissent qu’avec l’arithmétique (Gödel). Mais ceci à ne considérer que les énoncés du langage-objet.

  Or nous ne faisons aucun psychologisme (intentionnalité, transcendance et tutti quanti...) lorsque nous disons qu’il en est bien ainsi, avec Quine, mais que nous en disons plus que lui en démontrant, par notre construction, qu’il ne peut pas en être autrement pour le discours de la science contemporaine.

  Nous ajoutons alors, en raison, que personne ne peut nous empêcher de n’en penser pas moins, comme le dit Freud à la fin de ses Nouvelles Conférences d’Introduction à la Psychanalyse.

  La psychanalyse se trouve située. Elle est là, non valide et irréfutable, ce qui est contraire à la science classique. Compte tenu du dire et de ses effets, du fait de notre démonstration. Il y a là la matérialité d’une raison à l’impossible qui ne peut pas se dire, ni s’écrire en logique classique et qui, à s’écrire, d’un battement de cil, aile disparaît, ce qui peut s’écrire comme nous le montrons. Voilà pour la fonction de l’écriture, elle cerne ce qui n’est pas à comprendre mais se démontre. 

  Si nous choisissons avec Freud de n’en penser pas moins, c’est la psychanalyse, et nous pouvons maintenant écrire dans notre topologie cette situation. En Lcc il y a nécessité du métalangage afin de traiter de la conception sémantique de la vérité selon Tarski, et il est nécessaire qu’il n’y ait pas de métalangage puisque celui-ci s’évanouit nécessairement.

  Un opérateur unaire de négation permet d’écrire cette position du problème dans notre topologie, c’est la seconde négation modifiée 

 =def (¬p Ù ¬~p) 

qui se lit en disant, il est faux que p et il est faux que non p. Soit en ce qui concerne la structure du langage. 

Il n’y a pas de métalangage =def (il y a du métalangage) Ù ¬~(il y a du métalangage)) 

qui se lit : il est faux que (il y a du métalangage) et il est faux que (il n’y a pas de métalangage).

  Cette involution, caractéristique du signifiant, structure l’identité dans le langage, nous pouvons la dire aussi bien division entre une aliénation du fait de sa présence effacée et une séparation du fait de l’écriture de cet effacement. Cet interdit est bien autre chose que les analogies dont on nous rabat les oreilles avec le modèle de la limite, de la clôture, de la transgression, du trou, quand il s’agit d’une coupure. 

La ségrégation 

  Ce qui précède n’est pas à lire, il suffit que ce soit écrit. Qu’on sache que c’est écrit.

  Nous pouvons donc depuis Tarski et Freud écrire un petit peu plus sur la vérité et recueillir la raison de sa transparence. Trop en dire produit un effet de trivialisation éprouvé par le sujet comme un manque radical. Cela s’appelle la castration... mais c’est déjà en dire beaucoup.

  Trop sans doute pour les habiles qui font passer leur suffisance à trouver le juste ton pour de l’intelligence qui en sait long.

  Cette structure nous fait entrer dans le champ de fictions où se découvre une matérialité littérale de la pudeur.  Viser à l’effacement permet d’en obtenir un effet de séparation absolue, une satisfaction intellectuelle sans égale.

  C’est utiliser la lettre, la pratique de l’écriture à une autre fin que la ségrégation à quoi elle est conviée usuellement au travers des liens sociaux.

  Noter ici que le chef politique des Serbes de Bosnie a reçu un prix de littérature slave. On peut être médecin psychiatre, on n’en est pas moins poète. Les amateurs d’amour de la langue apprécieront. 

Les lettres dans la cité, où en est la psychanalyse ? 

  Nous pouvons affronter avec ces dimensions le fait moderne, soit le symptôme dans la civilisation.

  Le symptôme moderne, selon Lacan, est établi par Marx au passage de l’ancien temps, la féodalité, au temps présent. Passage dont témoigne le Quichotte de Cervantès, où son héros est moqué du fait qu’il croit à ce qu’il lit. Ici apparaît le héros psychologique du roman moderne qui ne croit plus au maître de la crédibilité.

  Tous prétendent aujourd’hui ne plus croire au roi Arthur pris comme semblant pour les chevaliers de la Table ronde, dans le cycle de Bretagne. Non, certes, ils croient maintenant au père Noël. Nous voulons parler du correspondant de B. Pascal dans ses lettres traitant du vide.

  Or ce symptôme est bel et bien pris dans un processus d’écriture. Montrons cela par un tableau.

0 - Répartition de la parole et de l’écriture

entre public et privé en fonction du semblant 

  La fonction du semblant est celle que nous isolons dans nos calculs logiques après les avoir introduits par Hans et par Tarski. Nous posons ainsi la question de la nécessité du métalangage, qu’il soit savant ou vulgaire, et du mode de séparation, la barrière mise à l’étude par Freud.

  Notons que le mathématicien est un sujet qui a intégré la fonction de la barrière signifiante dans son intimité, ceci dit sans aucun psychologisme, c’est une question de style ouvrant ainsi la voie au désir de savoir d’une façon si particulière qu’il fait baver de jalousie les autres qui s’imaginent bêtement qu’il pourrait avoir affaire au savoir absolu. Il y a de quoi rire. Un lien social autre, cela certainement.

  Dans ces catégories le symptôme culmine comme raté sans littéralité du passage au travers de la censure. Le sinthome a deux noms, il s’appelle démagogie ou langue de bois, deux figures, le bateleur d’estrade et l’apparatchick.

  Or la psychanalyse consiste à poser cette question en vérité. 

À savoir dans le discours analytique : 

- Pour Freud, comment rendre compte avec raison pour un public lettré d’une vérité pour chacun aussi intime, comme le fait le littérateur sans tomber dans l’obscénité ? Ceci sans recourir à la sublimation car tous n’ont pas ce talent des grands litté-rateurs.

  C’est la charité freudienne que de le proposer, ça donne l’archiratée de l’ego psychology en Amérique du Nord chez des gens qui ont un moindre souci littéraire et une pratique de la parole propre aux anglo-américains. Le semblant y joue fortement selon un autre mode, d’où la credibility. Il s’en déduit une face de la spécificité culturelle dont se targuent les Européens, de la bureaucratie vaticane à la révérence littéraire bien française.

  De l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique se trouve, par contre, une catégorie de la liberté privée (freedom est différent de liberty) que ne connaît pas le continent, en Europe. La psychanalyse leur paraît difficile par conséquent. Lacan fait aussi le diagnostic d’une langue aux figures (tropes) molles. 

- Pour Lacan, comment en traiter en raison d’une autre écriture, comme nous l’esquissons dans cet essai ? Afin qu’un véritable enseignement politique se produise sur fond de responsabilité au lieu de la folie de ceux qui se croient.

  Ils s’y croient et même ils se croient être. Jusqu’aux gardiens de la cité, le pur, l’homme nouveau, le parfait, maintenant le robot, le cadre qui vit au-dessus de ses moyens mentaux. Il y a une foule d’images de la folie de la réalisation dans l’être.

  La psychanalyse cherche à répondre par une construction, celle de l’ex-sistence de l’objet de la psychanalyse, ce n’est pas un jeu de mots, un jeu de lettres, sans conséquences. Elle répond à la situation créée par la subjectivité scientifique, « celle que le savant à l’œuvre dans la science partage avec l’homme de la civilisation qui la supporte ». Cette situation a un nom, nous l’appelons psychose sociale, à laquelle nous participons comme tout le monde, le monde justement. Elle est celle de l’occidenté, sujet à la civilisation de l’occire qui s’étend, effaçant la possibilité de la lecture sur son passage, une lessive sérieusement polluante. Grâce à la psychanalyse, nous ne sommes pas obligés de collaborer. Il est curieux que les tenants de ce discours se précipitent dans la collaboration en question, ils veulent être employés à cette fin. Les habitants, logiquement, brutalement, des deux côtés de Atlantique et d’ailleurs, ont autant leur chance de se guérir, même si jusqu’ici les meilleurs renoncent.

  Donnons un nouveau tableau de cette situation qu’il est urgent de résoudre. 

1 - Où la psychanalyse 

  De toute façon ça ne peut pas être plus raté que dans le cas de Freud. Il faudra bien un jour que les petits maîtres s’y mettent sans avoir peur de passer pour fous. Pour cela il suffit de distinguer entre folie et causalité mentale. Fous, ils le sont déjà à l’ordinaire, mais planqués. Alors que l’on cesse de nous rebattre les oreilles avec le calcul de l’audience, car en matière de lecture, comme pour le reste, celle-ci n’est le fait que des spécialistes qui forment le goût et portent la responsabilité de la qualité. Toujours le pacte initial à toute violence. 

  Une société a toujours besoin de différences pour s’organiser. Mais, avec Freud, les choses vont jusqu’à découvrir des raisons afin que nous cessions d’entretenir cette ségrégation selon un mode brutal. Exclusion à tour de bras des uns, des autres, en silence du fait de la fonction invisible de l’insu non repéré.

  Il est devenu nécessaire, du fait de l’impérialisme de la science que nous soyons capables d’expliquer à ceux qui viennent après nous, les générations qui suivent, à nos enfants eux-mêmes, comment une société trouve ses marqueurs différentiels. Peut-être pas comment devenir vertueux mais en tous les cas à quoi cela tient, d’être ou non du bon coté de la barrière.

  Ce n’est jamais en fonction d’aucune visée utilitaire dont la cause serait positive, comme le croit le sociologue, mais des fictions, les fixions littéraires. Déchets, déjections qui ruissellent de l’événement se produisant de la structure, cette rupture de semblant causant le mental par la lettre, d’entre les dimensions des n’espaces. Il suffit de ne pas s’y croire mais de prendre les choses en série.

  Un enseignement politique en somme à la hauteur de notre époque de grands massacres momifiés[ix] où il y a de moins en moins de responsables. Qu’il puissent se révolter et penser sur une autre scène, contre autre chose que l’ob-scène, primitive comme l’on sait, des parents. Gesticulations ritualisées qui tiennent plutôt du bizutage dans l’esprit de leurs aînés, ayant manqué l’affaire et renoncé.

  C’est par une légère déformation de notre précédent schéma que nous ferons le lien avec la causalité mentale dessinée dans le schéma suivant.

2 - Schéma R

   Où nous retrouvons par des déformations souples le schéma R de la topologie de Lacan. Il met bien ainsi au chef des discours publics une involution signifiante dont la notion se prend de la psychanalyse.

  C’est à re-parcourir cet itinéraire dans ses détours aux travers des textes et des constructions que nous montrons qu’il ne s’agit d’aucune ontologie, ni d’aucune transcendance[x] dans ce rabaissement de l’être à la lettre. Il n’est pas réductible à l’ontique, puisqu’il est ravinement du signifié par le ruissellement des lettres. Il s’agit d’interroger alors le ravissement résolutoire. 

L’écriture

 Notre structure mentale est donné par l’érotisme de l’usage de la lettre, l’écriture.

  Si l’articulation du topologique au logique se fait par l’intermédiaire de l’image narcissique jusqu’à la question du surmoi, nous devons commenter cette indication de Lacan selon laquelle les cris ont à voir avec l’écrit. Comment le suivre, sérieusement et raisonnablement en cela ?

  Il suffit d’avoir aperçu le pliage du graphe de Freud dont sont produits les schéma R et L de Lacan. Nous partirons de la remarque selon laquelle les cris entendus par l’enfant sont premiers et l’écriture pratiquée en société est secondaire 

premier                    primaire                     secondaire

---------x------------x------------x------------x----------

   les cris                                                      l’écrit

 et nous constatons, à suivre Lacan dans sa topologie, comment ce pliage place au principe du processus primaire la conjonction-disjonction du processus premier avec le secondaire 

en vue de poser la question de cette écriture impossible dont nous cacographions le nom sous la forme de lékri. 

  Afin de préciser cette question, nous étudions le passage des lois d’une syntaxe aux contraintes introduites par le support (surface) sur lequel nous traçons nos signes écrits. Nous reprenons ainsi le trajet de Lacan au travers de la topologie, des diagrammes de Euler-Venn, aux graphes, puis aux surfaces sur lesquelles sont tracés ces graphes, enfin aux nœuds tracés eux-mêmes sur la sphère (mise à plat). Il y a donc bien une constante dans cette topologie qui nous écarte d’une logique du concept : le traitement du cercle. Nous devons répertorier chaque geste pouvant être effectué avec des cercles dans différents n’espaces.

  L’objet produit par cet essai s’appelle la dimension, toujours le cerne, par une orographie, de la lettre en acte, soit une esthétique qui est autre chose que celle de Kant même retournée par Sade comme un gant.

  Nous avons déjà formalisé aussi, par exemple, le temps logique de Lacan et mis cette formalisation en regard de la correspondance établie par lui entre ses formules de la sexuation et les orientations du nœud. 

  Il n’est donc pas juste et pas vrai qu’une culture laïque issue des Lumières soit vouée à la vulgarité. La vulgarité est celle des relais, de ceux qui tiennent lieu de penseurs de droite comme de gauche, d’extrême- droite comme d’extrême-gauche, dés qu’ils affrontent le fait moderne. La raison a ses raisons mais sa raison est difficile, même pour les meilleurs. Qu’on le sache permettrait que cesse cette débandade de paccotille des savants eux-mêmes devant leur responsabilité.



[i] Si on me reproche de jouer au tennis en dépit du style et des règles de jeu, je puis rétorquer que cela me plaît ainsi. Si au contraire je décide de me conduire d’une manière délictueuse dans la société, je ne peux pas dire que cela me convient parce que j’en ai décidé ainsi. Ceci décide de l’existence d’une dimension éthique.

[ii] Du fait de dire.

[iii] G. Canguilhem, « Machine et organisme », « La monstruosité et le monstrueux » in Connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1980.

[iv] N. Chomsky, Structure syntaxique, Paris, Seuil, 1969,  et « Trois modèles du description linguistique » in Langage n°9, Paris, Didier/Larousse, 1968.

[v] Benveniste, « La subjectivité dans le langage », in Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, 1966.

[vi] J.-M. Vappereau, Clefs de la passe, Topologie en extension, à paraître.

[vii] Nous avons ici la notion d’un opérateur de vérité qui marque la vérité empirique ou constative de chaque énoncé et non la vérité nécessaire qui intéresse beaucoup plus les logiciens depuis le rejet par Frege du risque de psychologisme chez Boole (Gardiès, « L’Anti-psychologisme des logiciens », Ornicar ?. Cette question est au principe du différend jamais résolu entre logiciens philosophes et logiciens mathématiciens. En fait cette question qui fait l’objet d’un chapitre de notre essai Clefs de la passe, a été mal traitée par les deux parties.

[viii] Ceci vaut aussi bien pour le langage des prédicats que pour le calcul des propositions auquel nous restreignons notre démonstration, ici, ayant choisi de nous adresser aux lecteurs de Freud et de Lacan. Cfr. W.V.O. Quine, Philosophie de la logique, Paris, Aubier, 1975 et Méthodes de logique, Paris, A. Colin, 1972.

[ix] J.C. Milner, Constat, Paris, Verdier, 1992.

[x] J. Poulain, « La loi de vérité » ou la logique philosophique du jugement, Bibliothèque du collège international de philosophie, Paris, Albin Michel, 1993.